Après le chef d'œuvre de Guillaume Nicloux (ni cinéma), on a hier soir augmenté le risque de payer la redevance en se connectant au site de France 2. On a posé l'ordi sur la table et nos huit fesses sur le canapé. Oui, parce que c'est les vacances et que deux de nos trois ados étaient à la maison. Ma compagne, amoureuse de comédies musicales, tenait absolument à voir ce film au cinéma et, le jour même, avait découvert que France 2 le diffusait avant sa sortie en salles. C'était donc un téléfilm si on se fie à la sacro-sainte chronologie des médias… Un téléfilm de France 2 qui plus est. Ah oui, quand même… Sans parler du titre, trop clairement référencé Pialat, me faisant craindre le pire. J'essayais de me calmer, de ne pas la ramener, oublier les a priori. L'immédiate voix off du personnage principal, prenant les mains et les pieds du téléspectateur pour l'entraîner vers un réel dur mais cool, un côté docu sympa à la Strip-tease, mettaient à mal mes bonnes dispositions. Mais j'ai lâché prise, fait fi de ma méfiance, des tics du téléfilm – et d'une presse élogieuse, apparemment. J'essayais de voir comment ça avançait. Comment le pari de mêler documentaire et chansons finissait par construire de la fiction.
Car Chante ton bac d'abord pose ces questions-là, évidemment, principalement. Que devient une personne choisie, interviewée, préparée à un tournage, suivie sur plusieurs semaines, dès lors que se crée autour d'elle un récit avec plus ou moins de dramaturgie, une représentation du réel ? Le film de David André, le réalisateur-auteur-parolier, tire sa force de la naissance, certes guidée, manipulée, en un mot mise en scène, des personnages de Gaëlle, Nicolas, Rachel et les autres. Ce sont eux qui chantent. Pas leurs parents, pas les profs ou les conseillers pédagogiques. C'est en chantant que le personnage de documentaire devient ici personnage de fiction. La caméra qui (nous) le révèle nous le rend attachant par sa naïveté, son amateurisme, sa gaucherie, nous (l') installant entièrement, pour ainsi dire, dans la fiction.
La vision de ce film audacieux m'a presque donné envie d'apporter ma contribution à la survie du service public audiovisuel. Il se passerait quelque chose chez France télévisions ? C'est quand même mieux que les films de Christophe Honoré, s'exclame ma compagne au générique final. Oui, mais là… Alors que notre doux foyer était infesté par la diarrhé publicitaire, je me suis pincé le nez, ai renoncé à m'abonner à Télérama, ne pouvant malgré tout m'empêcher de m'interroger sur la nature de ce que nous venions de voir. Le petit côté Star Ac' du truc, accentué par les chansons plagiant parfois les chansons de chanteurs morts, d'accord, pourquoi pas ? On filme les ados en mettant en scène leurs univers, leur imaginaire, leurs rêves, leur langage, leurs codes, les plus affligeants ou les plus virtuels comme les plus sincères. Mais, au-delà du dispositif, d'un récit somme toute positif, conclu par le happy end propre au genre, quel monde nous restitue-t-on, qu'apporte le documentaire à notre perception des problématiques rencontrées par ces jeunes gens ? J'ai l'impression que le film en reste là. Que le réel, si tant est que le cinéma peut le restituer véritablement, importe peu finalement. Et que c'est le système fictionnel qui l'emporte, son efficacité : casting, répétitions, scénario, prises multiples, montage, marketing, en résumé. Je m'arrête simplement sur le premier point. Comment ne pas s'interroger sur la non-présence d'un personnage, même secondaire, qui serait issu, comme on dit, de l'immigration ? Y en avait-il un ou plusieurs à l'origine du projet ? Ont-ils refusé de participer ? N'étaient-ils finalement pas "intéressants", comparés aux autres, pas "représentatifs" ? Il est possible qu'il s'agisse d'une question très personnelle. Issu d'un milieu semblable à celui de la plupart de ces gamins, j'avais une autre particularité, celle d'être né en France de parents immigrés, et d'avoir été travaillé par le souci de l'intégration, la volonté de me fondre dans le décor, tâche certainement plus "simple" quand on est fils d'Espagnols que fils de Marocains ou de Maliens, mais déjà pas évidente… Il n'y a pas que cela. Ayant côtoyé ces dernières années des collégiens de banlieue, tenté également de raconter leurs histoires par la fiction, j'ai été confronté à ces questions, que ne se posaient peut-être plus ces nouvelles générations, pas de la même manière. Et j'aurais aimé que l'aspect documentaire de Chante ton bac d'abord ne fasse pas l'impasse sur cette réalité-là, certainement pas étrangère au décor choisi – une ville portuaire et paupérisée du Nord. Est-ce trop demander à un téléfilm de France 2 ? Peut-être. Ai-je une vision trop politique de notre société, du cinéma ? Je n'en suis pas sûr.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire