vendredi 3 décembre 2021

Donner le change

 

Ed Van Der Elsken

 

ils ne se touchent plus
l'homme, oubliant son état,
abandonne la table de la cuisine sur laquelle
stupidement
il a posé
tous les volumes
d'un de ces auteurs tant fêté dans sa jeunesse
peut-être espérait-il comprendre ce qui dans ces textes l'avait davantage ému que le corps de la petite pin-up
qui s'était offert à lui
un jour pluvieux et froid comme celui-ci devant un film de lubitsch dans un cinéma du quartier de la fac.
 
au prix d'un effort presque démesuré,
il se colle à la fenêtre et observe
essoufflé,
filer les dernières heures de cette journée d'automne.
hier, je suis parvenu à prendre une douche et ce matin à me raser
le cœur gros, se dit-il…
d'où vient cette expression ?
lorsqu'il est monté à la salle de bains après son café
il l'a senti s'emballer dans sa poitrine.
vais-je vomir cette vie médiocre
la voir défiler sur le plancher, filer le long de l'escalier ?
tout est rapidement rentré dans le désordre de son existence.
pas de quoi, cette fois-ci, en faire une histoire.
 
il n'avait pas senti les larmes monter face au miroir.
l'épiderme et ses recoins
masqués par le savon à barbe,
il pouvait donner toujours le change,
mais
pin-up, femmes mariées ou veuves joyeuses avaient perdu de leur intérêt.  
j'aime cette femme et j'attends son retour. 
la chlorophylle s'amenuise et les feuilles du platane des voisins recouvre
d'un jaune sans grand éclat ce qu'il perçoit du jardin.
hier la lumière invitait à la sortie, j'aurais dû en profiter, me forcer.
là, je ne suis que frissons et inertie
déambulations fantomatiques dans la maison vide.
il doit rejeter
immédiatement 
ces délectations moroses
de gamin,
ce n'est pas encore
pour aujourd'hui.
 
et quand bien même,
la chienne,
n'est-ce pas la première fois qu'il peut enfin l'envisager
tranquillement

grâce à cette femme et à cette maison ?

 

charles brun, pas de quoi en faire une histoire

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