Roman Zlobin |
— Déjà ?
— Tu as bien dormi ?
— J'aurais voulu que ça continue...
— C'est toujours trop tôt.
— Je n'en reviens pas...
— Tu le découvres ?
— Quoi donc ?
— Que c'est toujours trop tôt... Ou trop tard. Pourtant, je t'assure, c'est toujours le cas.
— Ce n'est pas ça. Figure-toi que j'étais avec Alain Delon. A la fac. Je n'en reviens pas.
— Comment ça, avec ? Tu veux dire que Delon, c'était ton mec ?
— Bah oui...
— Ton inconscient ne doute de rien...
— Quand il a pris la parole, c'était toi. Il parlait de cinéma, de nanars qu'il venait de revoir et qui étaient formidables.
— Je ne parle jamais de nanars...
— Tu vois ce que je veux dire...
— Pas vraiment. Je rêve rarement d'Alain Delon. Dire que j'ai failli l'écraser un jour, en scooter...
— Ne sois pas jaloux : j'étais avec toi. Simplement, tu avais le physique de Delon.
— Effectivement, j'aime mieux ça...
— Il t'est déjà arrivé de rêver de Catherine Deneuve, en me disant qu'en fait, tu avais rêvé de moi...
— Il existe une certaine ressemblance entre Catherine et toi, c'est indéniable. Entre Alain et moi, ça peut se discuter...
— C'était toi, te dis-je, mais en mieux.
— Comment est-ce possible ? Si moi, j'étais Delon, ou Delon, c'était moi, toi, tu étais qui ? Romy Schneider ?
— Non, j'étais moi.
— En toute modestie...
— J'étais très amoureuse. Il était tellement beau....
— Tu parles de moi ?
— Non, de Delon.
— Comme Delon parle de lui à la troisième personne, j'ai cru que tu parlais de moi également à la...
— ...Oui, oui, j'ai compris.
— Je ne suis pas bien réveillé, faut me pardonner...
— Tu vas surtout être en retard.
— C'est le propre des stars, se faire attendre.
— Tu expliqueras ça à ta directrice. Va faire ton café, je vais tenter de le retrouver.
— Essaie la piscine, tu profiteras davantage de mon physique que dans un amphi de fac.
— Ce n'était pas le Delon de La Piscine. Il était dans la cinquantaine. C'est encore mieux.
— Comme moi, en quelque sorte...
— Tu es quand même désormais plus proche de la soixantaine...
— La journée ne pouvait pas mieux commencer...
— Delon, même à la soixantaine, il était encore très séduisant.
— Exactement comme moi...
— Allez, file.
— Imagine : je sors de cette chambre, tu replonges dans tes rêves et te retrouves dans les bras de Zemmour.
— Quelle horreur !
— Politiquement, ça se tient.
— Je ne peux pas rêver de lui. Il a fait carrière grâce à la télé, à une époque où je ne la regardais déjà plus. Je ne sais même pas à quoi il ressemble, je ne l'ai jamais entendu parler...
— Tu dois être la seule personne dans ce pays à tout ignorer de ce grotesque bateleur soutenu par les grands financiers des médias, le patronat et la bourgeoisie.
— Ce devrait être pareil pour toi, ça fait des années que tu n'as pas la télé...
— Tu vois ce que c'est, internet ?
— A peu près... C'est là que je trouve des meubles pour la maison ?
— Exact. On y trouve aussi les charlatans qui meublent les médias.
— Nous ne sommes pas obligés de les écouter.
— Que tu crois... Ils squattent l'espace médiatico-politique, assurent le spectacle de ce cirque. Tous les micros se tendent devant eux pour créer le buzz, l'événement, alimenter les pseudos débats de café du commerce, multiplier les sondages, l'écœurement permanent pour cacher le vide de la pensée...
— Je ne comprends pas. Comment peut-on accorder du crédit à un discours aussi grossier ?
— Pour cette même raison. C'est grossier, simpliste, creux, caricatural. Appelle ça comme tu veux, le résultat est le même, depuis toujours. Plus c'est énorme et répété à satiété, plus ça finit par constituer une évidence, une vérité incontestable, communément admise.
— Ce qui est une évidence, c'est que tu vas encore être en retard. Quelle excuse vas-tu donner cette fois-ci ?
— J'ai surpris ma femme au lit avec Delon. Une bagarre s'en est suivi. Un trio s'est formé. Lorsque Zemmour a sonné à la porte... Un truc dans le genre...
— Ça devrait marcher : plus c'est gros, plus ça passe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire