mardi 21 novembre 2017

Désinscriptions nordiques


Je peux bien le confesser. De temps à autre, en plein coeur du marasme, mais ayant bien à l'esprit de n'en pas abuser, je tente de me rassurer en me disant que tout n'est pas gagné.

Mon nouveau travail, formidablement bien payé, consistait, masse à la main, à démolir tout un tas d'objets et gadgets inutiles créés pour satisfaire nos désirs de consommation contrôlée et destructrice. Un jeune homme m'épaulait, muni d'une balayette. Tandis qu'un stagiaire gérait les sacs poubelle. Dans les pièces voisines, sous surveillance filmée permanente, d'autres trios comme le nôtre s'affairaient à la même tâche. Une femme décidée à remettre un peu d'ordre dans le bazar de nos vies était à la tête de l'entreprise. J'ignore s'il faut donner à ce rêve une signification sexuelle particulière.
Mon type de femme : celle qui refuse que je la connaisse mais n'en accepte pas moins mes caresses.
Lorsque, à son tour, se libèrera la parole des victimes du harcèlement de l'idéologie marchande qui aimerait nous imposer des corps parfaits et, en même temps, tous semblables, les marques qu'il nous faut porter, les lieux à visiter, les objets technologiques à afficher, les livres à lire, les films à voir, la musique à écouter, la course aux suiveurs, le vivre-ensemble, et en même temps, le classement des personnes en winners ou losers, le culte du narcissisme et du guide éclairé..., la cacophonie sera telle que personne ne l'entendra.

Sans l'ennui, que ferais-je de mon temps libre ?

Mon type de femme : celle qui fièrement me dévoile les bas qu'elle a enfilés pour moi tout en récitant un poème oublié de Desnos.

Je me demande tout de même si ce roman américain encensé par la critique et plébiscité par les lecteurs ne mériterait pas un deuxième traducteur pour traduire le premier. Voire un troisième.

Angot, Nothomb, Zeniter, Olmi, Pancol, Zeller, Musso, d'Ormesson, Lévy, Jardin, Jaenada, Dugain, Haenel, Enard, Werber, Houellebecq, Ben Jeloun, Reinhardt..., mesurera-t-on un jour les ravages des agressions textuelles que nous infligent rentrée littéraire après rentrée littéraire ces redoutables têtes à claques de gondole ?

Mon type de femme : celle qui ne perd pas son temps à lire les journaux et préfère prendre de mes nouvelles le soir sous la couette. 

Je suis retombé par hasard sur la photo du film qui illustrait en noir et blanc un livre sur le cinéma nordique, volé à 20 ans pour cette seule image, celle d'un garçon torse-nu, se recoiffant, la taille ceinturée par les mains de sa petite amie. Je n'ai je pense pas lu le livre ni vu le film, mais viens de retrouver le titre de celui-ci – l'ai-je jamais su ? – : Le Péché suédois.

Je promets la plus grande honnêteté sur tout ce que je me promets de vous cacher.

Au détour d'un rayon de la librairie, en pile sur une table, trônait le livre le plus stupéfiant qu'il m'ait été donné de voir. Illustré à la façon d'un vulgaire bouquin pour enfants de contrebande, Mon Journal d'insomnie propose « des histoires, des contes, des vers, des idées et des pages où coucher vos pensées ». Je n'ai pu m'empêcher de feuilleter cette ultime parade cynique de l'industrie du divertissement et de la mort. Mais l'ai refermée comme j'apercevais une sorte de poème sur le scorpion. Les premières lignes affirmaient que ce n'était pas le genre d’animal qu’on aimerait rencontrer au beau milieu de la nuit mais qu'il s'agissait pourtant d'un joli spectacle, son exosquelette devenant fluorescent quand il se voit exposé aux rayons ultraviolets. Voilà le genre d'inepties que l'on trouve dans cette marchandisation de nos angoisses et divagations nocturnes. Le scorpion étant mon signe astrologique, j'affirme sans ambages que le spectacle de mes errances ténébreuses est des plus pitoyables et qu'il ne me viendrait jamais à l'idée de demander à quiconque d'y assister.

Mon type de femme : celle qui ne me proposera jamais d'aller courir dans les bois à l'heure de l'apéro. Ni à une autre.

Je me demande encore ce qui peut bien ne pas vous avoir intéressé en moi et par quel singulier concours de circonstances vous n'avez même jamais appris mon existence ni cherché à me rencontrer.

Charles Brun, C'est déjà ça

via Peteski

2 commentaires:

  1. "Sans l'ennui, que ferais-je de mon temps libre ?". Quelle belle et juste formule !

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    1. Oui, cher Frédéric, une formule certainement sous influence, mais je transmets votre sentiment à ce bon vieux Charles Brun...

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