lundi 6 novembre 2017

Parlez-moi de la nature !

Max Dupain


– Ils nous ont donné du mauvais charbon, dit le mécanicien, c'est la deuxième fois que nous devons nous arrêter pour faire de la vapeur. 
– Alors, vous peignez toujours, monsieur Knize ? demanda M. Hubicka.
– Toujours, acquiesça le mécanicien. Pour le moment, je peins la mer (…)
Moi, j'étais sur le quai et je regardais le chef de train et son équipe et le chauffeur, et je compris aussitôt que s'ils s'étaient arrêtés, c'était uniquement pour rencontrer M. Hubicka, pour voir si oui ou non ça se lisait sur son visage, ce qu'on racontait, qu'il avait retroussé la jupe de la télégraphiste pendant le service de nuit et lui avait marqué les fesses avec le tampon de la gare.
– La mer, dit le mécanicien – et il continuait de regarder M. Hubicka avec des yeux pleins d'admiration –, j'agrandis la mer d'après une carte postale. 
– Vous ne préférez pas peindre d'après nature ? demanda M. Hubicka.
– La nature, ne m'en parlez pas ! Ça remue trop, la nature, s'écria le mécanicien, et il rit et se tourna vers le wagon de service et cligna des yeux, tout le monde éclata de rire. Si je peignais d'après nature, il faudrait que je fasse tout plus petit. La nature, je m'y suis laissé prendre une fois, et ça me suffit ! J'ai emprunté un renard empaillé à l'école et je l'ai enfoui dans la forêt, au milieu du feuillage, et j'avais à peine commencé à dessiner, deux chiens sont arrivés et l'ont déchiqueté, le renard. Trois cent couronnes. Parlez-moi de la nature !

Bohumil Hrabal, Trains étroitement surveillés,
trad. François Kérel

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