mardi 28 novembre 2017

N'en faites pas une histoire



Saul Leiter



Non, pas du tout. Moi, je ne vais plus aux enterrements. C'est comme ça. J'avais une grand-mère, la mère de ma mère, dans le Nord, que j'aimais beaucoup. Lorsqu'elle a commencé à vieillir, à devenir dépendante, elle a décidé de vendre sa maison. Moi, ça m'allait, puisque j'ai hérité. Elle est partie d'elle-même dans un institut spécialisé. Au départ, j'allais la voir tous les quinze jours. Et puis, elle se sentait de plus en plus faible, était consciente que sa santé se dégradait rapidement, alors, elle a demandé qu'on arrête les visites, plus personne ne devait la voir dans cet état. Elle avait tout préparé, signé un document pour léguer son corps à la science. Prenez les organes que vous pensez être utiles. Le corps, gardez-le pour les salles de la fac de médecine. Je ne l'ai jamais revue. Et il n'y a pas eu d'enterrement, aucune cérémonie. Ça n'a rien de macabre. La mort, on en fait tout un plat. Moi, quand j'étais étudiante en médecine, ce que je préférais, c'était disséquer les macchabées. J'adorais ça ! Je me battais pour être aux premières loges. Et pour ma mère, ça s'est passé un peu de la même manière. Elle a demandé à une entreprise de s'occuper de faire le tri de ses organes. Le jour de l'incinération, il avait neigé depuis trois jours. L'organisme a appelé en disant qu'ils ne pouvaient pas venir, la circulation était impossible. J'ai prévenu tous les invités et on a devancé la réception à la maison, c'était un peu improvisé, mais très sympa. Deux jours après, j'avais déjà repris le travail, ils ont appelé pour dire que c'était bon, ils étaient prêts, les routes étaient dégagées, ils s'apprêtaient à récupérer le corps. Oh, c'est trop tard. Nous, on a déjà fait notre petite sauterie, les invités ne vont pas revenir. Allez chercher le corps, mais faites ça où vous voulez, moi, je ne m'en occupe plus. J'ai même eu une remise sur la facture, car les choses étaient simplifiées. Tu vois, je ne suis pas allée à l'enterrement de ma mère, alors celui des autres... Et personne ne viendra pour le mien. Moi aussi, j'ai tout préparé. La dissection, c'est une étape importante dans la formation d'un futur médecin. La mort, ce n'est rien. On est là, et puis après, on ne l'est plus. On ne sait pas où l'on va. Pas de quoi en faire une histoire, crois-moi.

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