jeudi 16 novembre 2017

Sans chichis


Nous, avec Georges, on se voyait généralement le soir, avant la fermeture des baraques. Mais pas longtemps. On avait juste le temps de se bécoter un peu. Ou alors, des fois, dans la journée, quand il avait bien envie de moi, on combinait quelque chose pour se voir dans les douches. Pendant le travail, elles étaient désertes. Il fallait simplement s'aranger pour faire ça entre deux rondes. Lui, il pouvait prétexter n'importe quoi pour y venir. Des lampes à changer ou des fils à revoir, par exemple. Moi, je devais ruser. C'était pas toujours facile. Je disais que j'avais envie de vomir ou mal au ventre et je demandais à aller aux cabinets. Les cabinets étaient justement tout à côté des douches. Mais il fallait faire vite. On nous donnait tout juste dix minutes dans ces cas-là, et encore, on nous les retenait sur notre salaire parce qu'on était payé à l'heure et qu'on devait assurer une certaine production. Pas le temps de faire des chichis ni de s'attarder aux fantaisies. 
On a manqué de se faire pincer plus de vingt fois. Ça a tenu à des riens, certains jours. C'était pas tellement déplaisant, d'ailleurs, cette sensation. J'aimais bien ça. Le danger me coupait les jambes, et en même temps, ça m'excitait. Total, je ne pouvais même pas me laver. Et c'est pour ça que j'ai fini par être grosse.

Raymond Guérin, La Peau dure, 1948, rééd. Finitude, 2017

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