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Berta Vías Mahou (ou son double) |
José Saéz, l'Autre, s'entretient avec l'auteure, évoquant sa vie dans l'ombre de Manuel Benítez, El Cordobés, la jalousie de celui-ci, les méthodes d'un milieu bien entendu étranger à l'environnement professionnel que fréquente la romancière…
J’imaginais sa tête lorsqu’il découvrit la une du magazine sur laquelle l’Autre, c’est-à-dire moi, apparaissait en habit de lumière à bord de l’hélicoptère (…) avec un visage et un sourire identiques aux siens. Lui qui avait dû batailler pour atteindre cette apogée. Il ne pouvait permettre qu’un autre se rapproche de ce sommet en un temps qui, pour lui, s’apparentait certainement à celui d’un battement de paupière. J’imaginais les mots qu’il avait pu adresser à Galdeano : Je veux que tu l’écrases. Qu’il disparaisse. Je ne veux plus qu’il porte ce visage. Je ne veux revoir ce visage que lorsque je me regarde dans une glace. Tu as compris ? Quand je me regarde dans n’importe quelle glace. Ou dans le verre d’une vitrine que je suis le seul à regarder. Ou lorsque l’on me prend en photo. Ou lorsque je pisse dans une flaque…
(…) Il est parfois plus rentable d’éliminer un filon que d’essayer de l’exploiter (…) C’est alors que j’ai vraiment décidé de (…) chercher un nouveau fondé de pouvoir. Quelqu’un de sérieux. Un homme honnête. Bien que, plus d’une fois, j’aie pensé que le monde entier était pourri et que les fondés de pouvoir étaient certainement tous les mêmes. Benítez aussi s’était fait engourdir par son premier représentant, El Pipo. Ils t’invitent à un festin et, ensuite, ils passent leur vie, ou tout au moins une grande partie, à bouffer des repas délicieux et boire des vins hors de prix grâce à tes efforts et à ton enthousiasme. Ou à commander quand bon leur semble des costumes faits sur mesure chez les meilleurs tailleurs de la ville, pendant qu’ils te balancent de temps à autre une petite pièce pour prendre un taxi et rentrer chez toi. J’imagine que les éditeurs ont ce genre de pratique. Vous ne dites rien, naturellement. Bien que vous, vous n’hésitiez pas à me cuisiner.
J’imagine que les éditeurs ne se baladent pas avec un pistolet, ce que faisait l’autre sans problème, le laissant toujours bien en vue, capable de trouer quiconque s’immisçait dans ses affaires. On dit qu’à certaines personnes, il faisait parvenir un jambon pour les mettre dans sa poche, à d’autres, il envoyait ses hommes de main. Aujourd’hui encore, à la retraite depuis longtemps, il a gardé cette attitude de mafieux. Il y a peu, il a interdit qu’un film sur la vie de Manolete soit projeté à Cordoue. Il pense que la ville lui appartient. Le califat lui est monté à la tête. Ce n’est peut-être qu’une grande gueule, mais il a trop de laquais à ses côtés prêts à jouer pour lui le rôle de tueurs à gages. Bref. Qu’est-ce que j’étais en train de vous raconter avant de m’embrouiller avec les fondés de pouvoir, les éditeurs et le pistolet d’El Cordobés ?
Berta Vías Mahou, Je suis l'Autre,
trad. Carlos Rafael, éd. Séguier, 2017
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