mardi 5 janvier 2016

Résolutions et tentations



J'ai reçu hier, avant d'aller voir ma mère à l'hôpital, le compte-rendu de mon opération d'il y a quinze jours. Pas de tumeur, est-il précisé. Cela ne m'a presque fait ni chaud ni froid. Quelques heures à peine - je n'ose pas écrire jours - après être parvenu à m'extirper d'un sentiment confus, la certitude d'être gravement malade, alimenté par la série d'examens, diagnostics d'experts, hypothèses généralistes, suggestions sournoises, interrogatoires sur les fameux antécédents familiaux, temps d'attente interminables entre chaque rendez-vous, insomnies longues, parfois délicieuses, souvent épuisantes, distance soudaine prise par quelques prétendus amis effrayés certainement à l'idée d'être contaminés par la maladie ou par la poisse, ma décision d'un lâche courage d'en finir rapidement si le verdict venait à se confirmer, la fin de six mois de brimballements chaotiques... Baignade surveillée, mais je m'en sors bien, partagé entre colère - contre le corps médical, mais surtout le mien et ce qui le mène - et soulagement. Je pourrais presque prendre ça comme un nouvel élan, une dernière chance et avoir envie de faire quelque chose. Il faut que je me calme. Mais je vois aussi, autour de moi, quelques déçus. Ils ont cru à ma mort imminente, la santé retrouvée me rendant moins intéressant, m'en veulent de ne pas avoir tenu mes promesses - ce ne sont pas les premiers. Les laisser là où ils sont et où je ne serai jamais. Et relire Cioran. Ma belle consolation.
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Ma fille aînée se barre en Bretagne pour quelques jours jeudi prochain. Avec deux trois copines, elle éloigne de Paris, des médias vautourants et de la connerie du président, la fille d'un des dessinateurs assassinés il y a un an, sa meilleure amie. Elle m'a annoncé ça d'un ton grave mais posé. Je ne savais que dire. J'évite la pollution intellectuelle de l'actualité et n'étais pas au courant des commémorations prévues, orchestrées et bienvenues par et pour la clique au pouvoir. J'ai essayé, sans trop y croire, de faire comprendre à ma fille la nécessité de s'abstraire de la bêtise ambiante et du cynisme mortifère, tout en apprenant, par elle, les sollicitations, devoirs de cette orpheline, désormais pupille de la nation. Je regardais l'aisance de cette adolescente avec la parole, son besoin inépuisable de raconter et me demandais de qui elle pouvait bien tenir. A son âge, je ne comprenais rien à tout ce qu'elle sait depuis si longtemps et étais plutôt taiseux. Je regrette presque, maintenant qu'elle est entrée à la fac, de ne plus être humilié tous les trois mois par l'excellence de ses bulletins scolaires à des années lumière de ceux que je pouvais produire. Je la regardais et reconnaissais tout de même, dans ce flot de mots, dissimulée, tapie, derrière un esprit fort brillant étranger à son géniteur, une angoisse bien familière qui fait d'elle, sans plus de doute, ma fille.
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Ce matin, je suis parti au travail plus tard que de coutume. Nous avions rendez-vous avec un expert des assurances, les anciens propriétaires de notre maison et deux des entreprises ayant effectué les travaux de réhabilitaion de la maison, encore sous garantie décennale. A l'origine, un problème d'humidité assez important, signalé dès février dernier à notre assureur et nous minant depuis. Un beau bourbier dû à la naïveté ou la roublardise de nos vendeurs qui n'ont pas estimé nécessaire de souscrire à une assurance pour leurs travaux d'un côté, et un travail mal pensé et mal fait de l'autre. Nous qui pensions, en nous endettant jusqu'au cou pour acquérir cette petite maison de ville au charme désuet malgré son absence d'espace extérieur, être débarrassés de la bassesse et l'esprit de petits-chefs de nombre de copropriétaires croisés dans une vie antérieure, nous voilà empêtrés dans ce marasme de connerie et de veulerie d'entreprises irresponsables et de vendeurs bobos nous ayant pris pour des gogos. Rien de plus simple que de céder à une certaine tension et à la tentation du découragement face à ce type de procédure assurément lente et au dénouement incertain. Bénéficiant cependant d'une protection juridique grâce à ma banque, ce que j'ignorais jusqu'à maintenant, je peux me lancer sans frais avancer dans une procédure judiciaire peut-être longue mais certainement gagnante, me garantissant de plumer sans pitié ceux qui voyaient en nous des pigeons. Avec dommages et intérêts. J'hésite. Bêtement.
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J'ai eu le temps de relever le courrier avant de partir au boulot. J'ai bien fait. Une invitation m'attendait. Il suffit que j'en parle à mon médecin lors d'une prochaine visite. On m'offre en effet un dépistage du cancer colorectal, maladie fréquente chez les hommes de plus de 50 balais et dont un dépliant me livrait détails et statistiques. J'y vois un signe. Il est temps que je fasse quelque chose de ma vie. Devenir un salaud est une des pistes.

4 commentaires:

  1. Salaud… Cela suppose une vocation précoce. Une grâce. Laissez tomber.

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  2. Même cela, je n'y arriverai pas ? C'est vrai que côté précocité, c'est raté. La grâce, ça peut s'acheter. Et puis, il existe peut-être des formations que je pourrais faire prendre en charge par mon salaud d'employeur...

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  3. Salaud... Ne cédez pas à l'air ambiant, cher Inconsolable, nous sommes suffisamment encombrés comme cela.

    Cela ne veut pas dire non plus qu'il faille tendre la joue gauche de façon systématique. Il y a de la grâce à contrer l'empafé, à réduire la nuisance du fâcheux, à faire mordre (ne serait-ce qu'un tantinet) la poussière au con. Notre survie, notre oxygène y va de cela.
    Ce n'est pas rien.

    Ceci étant dit, heureux de vous savoir épargné par la camarde.

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  4. Mon tôlier a entrepris un plan de mutations collectives chez Pôle Emploi. Les faux-culs, les lèche-bottes, les pleurnichards, la cfdt qui vaseline pour que ça passe sans douleur: le spectacle est réjouissant. Alors salaud à plein temps, pourquoi pas ? C’est une belle reconversion et une assurance d’entière liberté.

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