mercredi 20 janvier 2016

Fini, le cinéma !




J'avais dû voir, ado, sur la télé noir et blanc des parents, un dimanche soir sur la une, ce film avec Mastroianni en homo planqué, face à une Loren femme du peuple délaissée, tous deux largués en ce jour historique en l'honneur du Duce et de Hitler. Je me souviens de la gêne de ma mère. Elle savait très bien que Marcello, qu'elle n'aimait pas particulièrement, n'était pas homo, que ce film était "grand public", n'empêche... 

Ses autres films, c'est naturellement avec l'Italienne que je les ai découverts. Quelques uns tout au moins. Les Monstres, réalisé par Risi mais en partie écrit par Scola, du côté de la Contrescarpe. Je m'en souviens comme si c'était avant-hier, alors que j'éprouve parfois les pires difficultés à me rappeler ce que j'ai fait la veille. Première année de fac, donc, 1982. Un de ces dimanches. Un de ces films qui nous importaient, les reprises étant labellisées excuse culturelle... En 82, ça n'avait que 20 ans. Comme nous. En deux ans de complicité amoureuse, je crois qu'on les a tous faits, les cinémas art et essai parisiens, la plupart aujourd'hui disparus. Rue de la Harpe, rue de la Huchette, boulevard Saint-Germain, rue des Ecoles, rue Galande, rue Bonaparte, avenue de la Grande-Armée, rue du Faubourg-Montmartre, rue Babylone, avenue Mac-Mahon, rue des Ursulines, rue Champollion, rue de la Clef, rue Jules-Chaplain, rue du Temple, rues Francis de Pressensé et Boyer-Barret et d'autres sans doute, heureusement oubliés, transformés en succursale de banque, pizzeria ou magasin d'alimentation.
Je m'étais pris d'un amour inconditionnel pour ce genre de films sans bien savoir le définir. M'attirait en premier lieu le rire, bien entendu, mais il n'était rien sans la cruauté, la critique sociale, la bassesse des personnages, les fourvoiements de la vie amoureuse, politique, morale Avec Risi et Scola, je découvrais le cinéma. Au même titre que les Woody Allen, Jean Eustache, Billy Wilder, John Cassavetes, les Marx Brothers, les films de la Nouvelle vague... , il fallait tout voir, il n'y avait pas de hiérarchie. Si je n'avais pas peur des formules toutes faites, je dirais que la salle devint un refuge, le cinéma un art de vivre. Je ne dis pas que je sortais de la salle aussi euphorique après un Monicelli qu'après un Godard ou un Ozu. Mais il était hors de question d'émettre la moindre réserve sur tous ces trésors de guerre sociale.




J'ai raconté ici ma "rencontre" honteuse en 1987 avec Fellini, Masina et Mastroianni. Lors de ce même festival, je m'étais précipité voir le Scola (La Famille). Je n'avais pas supporté cet adieu au cinéma italien. Je ne voulais pas admettre que le cinéma que j'avais tant aimé était mort avant même que je le découvrisse, bouffé par les Berlusconeries et autres chaînes privées de vision, comme me l'avait pourtant montré Fellini, un an avant, avec son génialement funèbre Ginger et Fred. Je ne comprenais pas que l'amour que je portais à cette époque du cinéma italien devait son outrance à la nostalgie intrinsèque à mon initiation. Alors, j'ai cessé d'aller voir les films des maîtres italiens, me contentant de leur disciple Moretti.
Lorsque j'ai acquis un lecteur DVD, j'ai été pris d'une frénésie d'achat de films, désirant les faire connaître à mes filles. Je ne les revoyais jamais seul. Je leur ai montré quelques sketches des Monstres, Le Fanfaron, et pleuré avec elles à Nous nous sommes tant aimés ou Parfum de femme, comme nous l'avions déjà fait devant Les Parapluies de Cherbourg.
Et puis, mon amitié avec Coco et Pierre m'a fait redécouvrir quelques classiques oubliés ou inédits comme Signore e signori ou Séduite et abandonnée, tous deux de l'excellent Germi. 

Enfin, il y a deux ou trois ans, je ne sais plus, la SACD octroyait un prix d'honneur à Ettore Scola. Coco, ma copine scénariste, m'avait invité et ne se tenait plus. Après la cérémonie, elle est allée parler à l'auteur de La Nuit de Varennes. Coco est une dingue de l'Italie et se débrouille pas mal, il me semble, dans la langue de Roberto Baggio. Un amoureux est passé par là dans sa jeunesse... Je me suis donc tenu à l'écart, fuyant comme toujours les Grandes personnes et leurs admirateurs, même si je devinais un type charmant. C'est là que Coco m'a pris au piège. Elle m'a appelé en me tendant son smartphone et prenant déjà la pose auprès de son pote Ettore. J'ai presque fermé les yeux pour cadrer un gars qui en avait fait de même avec tous ces remarquables acteurs et appuyé trois, quatre, dix fois avant de rendre la machine à Coco et détaler à l'autre bout du jardin de cet hôtel particulier du IXe arrondissement comme un éternel malotru. Quelques jours plus tard, il me semble, je me rendais seul dans une galerie germanopratine afin de déguster quelques photos du maître. Je pouvais alors commencer  à déculpabiliser d'avoir osé le prendre en photo...
Ces dernières années, Scola avait renoncé au cinéma, trop de dingues analphabètes et fiers de l'être présidant à sa destinée. Avant de raccrocher définitivement, il avait tenu à rendre hommage à son ami Federico. Même dans un faux noir et blanc numérique. Humble, charmant et fidèle jusqu'au bout. Non, ce monde n'était plus pour ce vieil homme.





Alors que je m'évertuais à en finir avec ces souvenirs larmoyants, Coco m'a justement envoyé ceci.

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