jeudi 2 avril 2020

En grand seigneur


Duane Michals

Si j'étais très riche je construirais ainsi ma maison : une entrée minuscule, un couloir étroit, une salle de séjour pitoyable, une chambre triste, des meubles très modestes, simples, peu de tableaux, aucun tapis, aucun rideau, des lampes peu pratiques et de faible puissance, dans l'ensemble, une atmosphère de gêne. En ce qui concerne les chiottes, cependant, au moins quarante mètres carrés, du marbre, des faïences, une robinetterie somptueuse et de très gros calibre, en vermeil, des lustres triomphaux, d'immenses miroirs biseautés, de douillets tapis d'éponge aux couleurs délicates, un déploiement de parfums rares et très coûteux, du papier hygiénique doux comme un soupir, des flacons et des vaporisateurs en tout genre, des tourne-disques stéréophoniques avec une discothèque imposante, bref, un luxe effrené, une débauche d'espace, l'envie de se promener nu dans tous les sens, peut-être au pas de course. Pourquoi nos savants architectes ne construisent-ils pas de pareilles maisons ? Il est facile de supporter la misère lorsqu'on peut chier en grand seigneur.

Dino Buzzati, Nous sommes au regret de…,
trad. Yves Panafieu, ed. Robert Laffont

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