dimanche 12 avril 2020

Nuit remuée

Clémentine Mélois


Toujours soucieux d'occuper mes journées avec intelligence, je parcours de nouveau au matin d'une nuit remuée quelques pages Culture à la recherche de bonnes idées. Sur le site du Figaro, je découvre que nos concitoyens confinés lisent plus que jamais. Je reconnais que la photo illustrant l'article me pousse au clic – Henri Michaux y côtoie Franz Kafka, Louis-René des Forêts et Thomas Pynchon. 


Mais l'article n'en est pas un. Il s'agit d'une dépêche de l'AFP, légèrement et anonymement retouchée par la rédaction du groupe Dassault, dépêche qui reprend un sondage Ifop mené auprès de 1050 internautes, âgés de 15 ans et plus, enquête publiée le 7 avril par l'Hadopi. Bon… « La consommation de produits culturels, nous dit le chapô, est l'activité "la plus indispensable à l'équilibre" des confinés. La lecture d'ouvrages numériques a fait un bond de 42%. » 
Le corps de l'article-dépêche contredit pourtant ce chiffre épatant. « 42% des internautes, peut-on lire, déclarent consommer davantage de livres numériques. » Ce n'est pas, il me semble, la même chose. Je poursuis. Pour une majorité des sondés, « la consommation de produits culturels est l'activité "la plus indispensable à leur équilibre" (hors travail), devant le sport (40%) et les activités manuelles (39%) (… ) 62% déclarent consommer au moins un bien culturel "davantage qu'avant le confinement". C'est encore plus le cas chez les 15-24 ans (82%). » Tout le monde s'est donc mis à Michaux ? Pas vraiment, nous dit le texte. « Les amateurs de séries sont 55% à consommer plus de programmes qu'avant l'isolement, suivis par les fans de jeux vidéo (53%) et de films (50%), les lecteurs de presse (46%) et de livres numériques (42%), et les fans de musique (40%). » Quant à la télévision, elle aurait battu son record avec 4h49 par jour et par personne, selon Médiamétrie. Peut-être évoque-t-on sur BFM ou LCI Kafka ou Pynchon, noms qui n'apparaissent nulle part dans le non-texte du Figaro. Au pied du papier, la rédaction, qui n'en rate pas une, conseille Sous Écrous, « la web-série carcérale pour s'évader du confinement »
Je reviens en page d'accueil de la rubrique Culture. Le papier suivant, malheureusement réservé aux abonnés, allège ma déception. Il est tiré du journal italien La Repubblica et titré Confinement : pourquoi ne parvenons-nous pas à lire un roman en cette période de pandémie ? J'ai également droit à son chapô : « Le coronavirus a un tel pouvoir sur nos sens et sur notre cerveau que nous ne parvenons plus à lire un livre ou à regarder un film sans y penser. » Confinés mais pas coupables, en somme.

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Plus sérieux, le quotidien vespéral des marchés, dit Le Monde, a bossé et dresse sa liste : Dix-huit livres qui font du bien à (re)lire pendant le confinement, affirme le journal de Xavier Niel. Je déroule : Le Discours, de Fabrice Caro (2018), Le Père Porcher, de Terry Pratchett (1996), La Vie mode d’emploi, de Georges Perec (1978), Saga, de Tonino Benacquista (1997), Dune, de Frank Herbert (1965), Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute (1982), Le Cœur cousu, de Carole Martinez (2007), Orlando, de Virginia Woolf (1928), Watership Down, de Richard Adams (1972), Solal, d’Albert Cohen (1930), Rosa candida, d’Audur Ava Olafsdottir (2007), La Première Enquête de Montalbano, d’Andrea Camilleri (2004), Le Guide du voyageur galactique, de Douglas Adams (1979), De bons présages, de Terry Pratchett et Neil Gaiman (1990), La Haine de la famille, de Catherine Cusset (2001), Chaos calme, de Sandro Veronesi (2005), Comment voyager avec un saumon, d’Umberto Eco (1992), Les enfants de la Terre, t. 1 : Le Clan de l’ours des cavernes, de Jean M. Auel (1980). Chaque titre est accompagné de sa notule. Je ne cherche pas à savoir pourquoi ces livres apparaissent sur cette liste. Car le mot déception n'est plus de mise. Il me faut avouer ma honte, la superficialité de ma culture, je ne possède aucun de ces livres et, puisque nous en sommes aux aveux, il en est même dont je ne soupçonnais pas l'existence. 
Nonobstant, du temps de ma stupide jeunesse, j'hésitais parfois devant les rayons de la lettre P de la librairie de la Fnac. Perec était l'un de ces auteurs que je n'osais aborder, et donc voler. Son nom était trop associé à l'Oulipo et aux jeux littéraires étrangers à l'autodidacte amateur et débutant que j'étais. Et lorsque j'ai acheté La Vie mode d'emploi, ce fut dans son édition espagnole. Un cadeau pour une jeune Madrilène dont j'étais pitoyablement amoureux. Je cherchais certainement à l'impressionner avec le pavé d'un type inconnu d'elle. J'imagine que noyé dans ma cuistrerie, je lui ai longuement parlé de l'auteur. J'aurais mieux fait de lui offrir la Bible en hébreux. Car elle me chassa rapidement de sa vie, sans mode d'emploi... Perec restera pour moi un auteur maudit. Au Moulin d'Andé, j'ai une nuit dormi dans la chambre par lui habituellement réservée, m'avait-on dit. Le bruit courait également que le verbicruciste y était mort. Je viens de consulter sa page Wikipedia qui l'envoie crever à Ivry, cité quelque peu moins rieuse que la normande bien que toutes deux bordent le même fleuve… Sur l'insistance de la fille d'une amie, j'ai l'an dernier essayé de lire Les Choses, moins impressionnant, mais je n'ai pas dépassé la page 23. Ne me parlez plus de Perec !

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Le journal de Patrick Drahi rend enfin hommage à Marcel Moreau, mort il y a une semaine dans un Ehpad de Bobigny. C'est Claire Devarrieux qui s'y colle. Du moins en apparence. Je me disais aussi… Le papier est en fait la transcription flemmarde de propos de la libraire Marie-Rose Guarniérie, cocréatrice du prix Wepler que ce natif du Borinage belge se voit décerner en 2003 pour son ouvrage Corpus Scripti. La responsable des pages littéraires ayant confiné son travail, cette conversation téléphonée enquille les titres, les j'adore, et est assez pénible à lire. On préfèrera voir et écouter l'auteur dans cette vidéo, l'une des rares apparitions de celui qui se traitait d'Immondain.





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Comme je ne me lasse pas d'écouter Pialat, France culture a déniché pour moi une nouvelle pépite dans sa cave. Il s'agit plus précisément de deux émissions que Claude-Jean Philippe consacre à Police, le plus grand succès du cinéaste, paraît-il. La première partie est constituée d'un entretien avec l'Auvergnat, le dernier qu'il donnera pour cette promo, jure-t-il. Il ne manque pas d'y déglinguer sa comédienne principale après que celle-ci s'est répandue dans la presse pour dénigrer Pialat, se vantant même, du haut de ses 18 ans, d'avoir, dès le 3e jour de tournage, remis à sa place l'auteur de Passe ton bac d'abord, scène à laquelle nous regrettons de ne pas avoir assisté. L'ineffable Catherine Breillat en prend également pour son grade d'apprentie-adjudant. La deuxième partie réunit des collaborateurs du film, Jacques Fieschi, scénariste de secours, et Yann Dedet, monteur émérite. Il s'agit du dernier numéro de l'émission. Claude-Jean Philippe venait d'apprendre son limogeage de la radio publique… C'est donc à écouter précieusement en ligne ou ci-dessous.




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