Ferenc Isza/AFP |
Depuis longtemps, épuisé par le trop-plein d'informations et le spectacle de l'actualité, je m'en tiens éloigné, ne lis pas les journaux, ne regarde pas la télévision, écoute simplement d'une oreille les bulletins d'infos matinaux de la radio avant de partir au travail et survole dans la journée quelques sites ou blogs. Et de temps à autre encore, quelques papiers du Diplo. Vouloir se préserver, se tenir à distance n'est pas toujours simple à vivre. Et il m'arrive souvent de me sentir largué, mal étiqueté par mes interlocuteurs, voire parfois sujet à des crises de culpabilité. Mais celles-ci disparaissent aussitôt que j'ai l'impression d'échapper, en grande partie, à une certaine dictature de l'émotion, au prêt-à-penser binaire pour tous dicté par nos différentes sources d'information. Mercredi dernier, une photo a donc fait le tour des réseaux sociaux et des médias du monde entier, certains jugeant obscène de la montrer, d'autres en publiant différentes versions. Grâce à l'incontestable emballement des affects qui caractérise désormais nos démocraties constamment connectées et surinformées, le drame des migrants, présent à la une depuis des semaines, a pris une nouvelle dimension. En symbolisant l'horreur dans laquelle vit une partie de nos frères, l'enfant de trois ans mort sur une plage turque, l'innocence illustrée, réveille enfin quelques bonnes consciences citoyennes et politiques. D'autres migrants sont morts sur une plage ou en pleine mer. Il en meurt même des dizaines chaque jour. Mais je n'ai pas le souvenir que ces disparitions, aussi déplorables que celle de ce petit garçon, aient donné lieu à une telle médiatisation, à ces roulements de tambour orchestrés par nos dirigeants politiques à coup de déclarations d'intention et de sommets d'urgence improvisés. Des lois, des quotas, des centres d'accueil vont, nous dit-on, être mis en place. On ne peut que se réjouir que les Etats interviennent enfin, même si l'on sent dans ce volontarisme affiché beaucoup de confusion et de contradiction. Il faudra veiller, une fois l'émotion collective ravalée par un autre événement, à ce que les actes suivent et que soient traités sur le même plan et avec le même soin les enfants, les femmes, les hommes, quelles que soient leurs nationalités, leurs croyances ou leur situation économique. On peut rêver.
L'un des aspects de cette actualité dramatique qui m'avait échappé, et que je découvre aujourd'hui, est la place accordée au point de vue des pipoles. Le journalisme est ainsi fait qu'aujourd'hui, tout au moins dans notre pays, l'événement doit être commenté par les personnalités préférées de nos concitoyens. Car, qu'il soit footballeur, chanteur, acteur, cinéaste ou animateur télé, le pipole n'en reste pas moins un homme/une femme comme vous et moi. Et il s'exprimera comme nous le faisons à la cafét' ou au zinc du coin. Ainsi Charles Aznavour ou Catherine Deneuve nous ont fait part de leur émotion. Après avoir rêvé une misère moins pénible au soleil, le premier a lancé, depuis sa résidence en Suisse, un appel pour la création d'une Maison du migrant en France. Généreuse idée. Quant à la Sirène du Mississipi, elle s'insurge contre l'aberrant et scandaleux mur dressé en Hongrie, pays dit-elle que les réfugiés ne font que traverser, personne ne songeant à s'y installer de nos jours. Elle souligne également les efforts de l'Allemagne en matière d'accueil et espère que la France fera aussi bien à l'avenir. Maladroit mais pertinent. La palme, à défaut du Goncourt, revient tout de même à la très engagée Christine Pierrette Marie-Clotilde Angot. En pleine tournée des popotes (journalistes) pour la promo de son dernier ouvrage, consacré à son enfance et à ses parents si j'ai bien compris, notre Duras 2.0 a naturellement, forcément, été invitée à nous livrer son sentiment sur la fameuse photo. En l'occurrence au micro de RTL. La reine Christine a tout d'abord affirmé avoir du mal à la regarder, cette photo. Nous sommes des millions à éprouver la même difficulté. Vous nous soulagez, Votre Majesté. Puis, en grande intellectuelle médiatique qu'elle est, l'officier des Arts et Lettres a tenu à développer sa pensée : « Quand on voit un enfant, on comprend que ce n'est pas un envahisseur, on comprend qu'on est face à de l'humain… » a-t-elle fort justement analysé, avant d'ajouter : « On est confronté là par exemple à quelque chose pour quoi on ne trouve
pas l'expression, on ne trouve pas… l'expression… C'est tellement
énorme. »
Je n'ai jamais lu un livre d'Angot, jamais été attiré par ce genre de littérature que je devine. On me dit qu'à l'écrit, elle a un style. Je le lui souhaite, ainsi qu'à tous ses lecteurs. Il m'est arrivé de tomber sur un ou deux des billets qu'elle publie chez ses amis de Libé et ressentir un véritable vertige devant le vide de leur contenu. Mais je pense que pour son bien, et le nôtre, elle devrait s'abstenir de réagir à chaud, oralement tout au moins, sur ce type de sujet. L'hénaurmité, pour ne pas dire la bêtise, de ses propos la desservant, il me semble. De mon côté, j'ai tant de livres et d'auteurs, moins connus et commentés, à découvrir, déjà mis de côté ou aux noms et titres simplement notés sur des carnets pour de futurs achats ou vols, sans parler de tous ces écrivains encore ignorés, et de quelques relectures prévues, que j'ai peur de ne (plus) jamais trouver de temps à consacrer à cette grande dame des Lettres françaises. Ça va, je pense que son succès et sa notoriété n'en souffriront pas…
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