Hier soir, sur la Vespa, en rentrant d'une soirée de soutien à Erri de Luca, je me faisais serrer par un taxi, klaxon à l'appui, mécontent de mon allure, un 40 maîtrisé, dans une zone 30. Il est vrai qu'il m'avait surpris tentant de profiter d'un léger moment de répit dans une journée agitée, égarré dans mes modestes dialogues solitaires. Le type insistait me ramenant sur la vulgaire terre. Au feu rouge, il remettait ça et me faisait signe d'avancer vers lui. Devant ma réticence exaspérée, il s'emportait vociférant je ne sais quels mots, certainement autres que sabotage. Fort heureusement, mon casque me protégeait de ses saillies et c'est au suivant sémaphore qu'il essaya de nouveau de me faire entendre mes torts. En vain. Il faut dire que, suite à mon avant-dernière chute, je suis désormais équipé d'un casque semi-intégral qui m'épargne généralement le son de casserole trouée de mon pot d'échappement m'évitant ainsi de penser à son plus que nécessaire remplacement. C'est alors que, tel un pilote de Formule 1 en herbe, Jo le taxi me colle de nouveau le garde-boue. Je n'ai pas le moyen de braquer à droite et voit défiler toute ma vie au ralenti le temps d'un soupir. Quelques mètres plus loin, deux files sont de nouveau disponibles et j'opte pour la plus lente, offrant ainsi à l'apprenti-Fangio de quoi satisfaire sa (qué)quête de virilité. J'ai alors repensé à Erri de Luca, espérant qu'il ne finira pas derrière les barreaux, souhaitant même qu'il ne se déplace jamais en scooter dans les rues de Paris, qu'il continue encore un moment à nous livrer quelques bouquins et poèmes. Je sais combien tout cela est ridicule, j'en étais conscient au moment-même, mais c'est ce type de pensées qui me traverse l'esprit dans ce genre de situation.
Hier soir, lorsque de Luca fut interrogé sur ses futurs livres, il confia à une assistance toute acquise à sa bonne cause qu'il préparait un texte adressé à la jeunesse dans lequel il se moque d'une expression que, comme bien des gens de son âge, il utilise souvent lorsqu'il s'adresse à de jeunes gens : « A votre âge… » Puis, à la question d'une jeune, qui venait de se présenter en tant que jeune, et lui demandait ce qu'eux, les jeunes, pouvaient faire, il retournait la question, invitant presque cette fille à monter sur scène pour exposer le futur qu'elle envisageait pour elle et les siens ; de Luca précisant que son futur à lui était une affaire de quelques jours, de quelques semaines tout au plus et qu'il ne pouvait se permettre de parler sérieusement d'avenir. Je me suis senti aussi vieux que lui sur le moment et un peu après sur le scooter. Je me suis demandé si, plus jeune, je serais descendu de ma bécane pour aller me frotter à cet abruti en taxi.
Rentré en vie, j'allumais l'ordi pour vérifier que nous vivions toujours dans ce beau pays qui accorde autant d'importance aux ridicules querelles spectaculaires-électoralistes du FN sans s'offusquer le moindre du monde de l'arrogance de cette dynastie d'opérette, et tombais sur la nouvelle des morts de Galeano, Maspéro et Grass. Celle de Galeano m'a fait suer. Je me suis souvenu du nombre d'exemplaires de ses œuvres que j'ai offerts à droite à gauche, de la fierté d'avoir publié dans le journal qui accueillait régulièrement ses merveilleux écrits, de l'avoir une fois croisé en coup de vent, trop intimidé pour l'aborder. Maspéro, lui, est lié à mes premiers pas dans la politique, et surtout aux longues conversations avec Helyette, autre libraire militante de ces années. Je me souviens qu'il fut question lors de mes propres années de libraire d'inviter Maspéro pour une signature à l'occasion de la sortie de son livre Les Passagers du Roissy-Express. Je ne sais plus pourquoi ça ne s'est pas fait. Quant à Grass, je dois avouer avoir fait, il y a une éternité, une tentative de lecture de l'un de ses romans, mais je l'ai rapidement abandonnée. Le turbot, peut-être, je ne sais plus. Sur le site de ce déplorable torchon qu'est devenu Libération, sous une vidéo consacrée à la mort de Grass, avait été collée une nouvelle annonçant que la famille Kardashian comptait d'autres filles et qu'elles passionnaient toutes l'Arménie.
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