vendredi 3 avril 2015

La vérité si je dis des conneries !




Ce matin, dans le coaltar et en retard, Radio-France toujours en grève et son Président de luxe prêt à aller jusqu'au bout, tel une Thatcher 2.0, le tuner numérique a migré sur Europe 1. Après quelques infos vite déballées car certainement peu primordiales (des clients de l'hypercacher de la Porte de Vincennes portant plainte contre des médias, notamment), un type s'est pointé pour nous dire si, au cours de sa carrière, il était arrivé à Jean-Marie Le Pen de tenir des propos antisémites. Réchauffé la veille par une autre radio commerciale, le plat de la polémique apprécié de tous les fins gourmets, était de nouveau au centre des grands débats démocratiques. Le journaliste avait consulté son smartphone et surfé sur wikipédia pour affirmer que oui, finalement, Le Pen avait été condamné pour toute sorte de délits dont l'antisémitisme. Il est ensuite rentré à la maison se reposer. Car venait l'heure de l'entretien-vérité, titre sérieux d'une rubrique présentée par le type qui gère la tranche matinale. L'invité dont nous allions enfin savoir tout était ce matin Louane. Oui, moi aussi, j'ai traversé un moment de brouillard complet puis, après une gorgée de café trop fort, me suis souvenu de la famille Bélier. Non, ce n'est pas le nom de nos nouveaux voisins qui envisagent sérieusement de retirer une rangée de tuiles de notre toit pour appuyer les fondations de leur future terrasse. La famille Bélier, c'est ce film qui réhabilite le chanteur patriote et révolutionnaire Michel "Bakounine" Sardou. Le gars rappelle les chiffres car ils sont importants quand on parle produits culturels : 7 300 000 spectateurs sont allés karaoquer les chants militants, presque le double du nombre d'électeurs FN. On n'en sort pas. 



D'ailleurs, après une présentation succinte de son invité, qui n'a, nous a-t-on rassuré, pas pris la grosse tête et ne se la pète pas, sauf une semaine où elle a été méchante avec ses proches, Thomas Sotto, c'est le nom du journaliste, a demandé à la chanteuse-comédienne (elle est arrivé en demi-finale de "The Voice", si j'ai bien compris) si, en tant que native d'Hénin-Beaumont, elle accepterait de chanter dans sa ville. Du haut de ses 18 ans, le César du Meilleur espoir féminin 2015 a confié qu'elle ne s'intéressait pas en vrai à la politique, qu'elle ne savait pas en vrai se situer sur l'échiquier, qu'elle n'avait pas en vrai le temps d'analyser ce qui se passe, déjà qu'elle avait dû renoncer à passer le bac cette année à cause de la promo internationale du film... et que, donc, oui, elle chanterait sans souci, dans la ville dirigée par Steeve Briois. Faut rester cool. Comme tout le monde, a-t-elle confié, elle a voté pour la première fois l'autre jour. Et comme elle n'y comprend rien, le samedi soir précédant l'élection, elle est allée se renseigner sur internet. Elle n'a pas révélé ce que la toile lui avait appris ni ce qu'elle avait glissé dans l'urne car le présentateur lui a montré une banane. Or, Louane est bananophobe ! Eh oui, comme il existe des arachnophobes, certaines personnes sont bananophobes et c'est le cas de cette jeune personne - en revanche, contrairement à la peur des araignées, il n'existe pas encore de terme scientifique pour cette maladie. Pour atténuer le malaise, le futur lauréat, à n'en pas douter, du Prix Albert-Londres s'est lancé dans un duo avec la nouvelle star sur l'air de Je vole, le fameux tube de Sardou (1978), concluant de belle manière cet entretien-vérité.
Venait ensuite la chronique quotidienne de Dany Cohn-Bendit qui fêtera demain ses 70 balais et a profité de son passage sur l'antenne de l'une des filiales du fils du marchand d'avions de chasse pour se lâcher et, se rêvant en Fabrice Luchini, de déclamer du Cicéron, parler de ses futures vacances dans le sud des Etats-Unis, et promettre de « continuer à se laisser surprendre afin de surprendre ». Me restait alors à filer me laver les dents, pas le temps de fouiller ma bibliothèque pour retrouver les lignes que Guy Hocquenghem consacrait à Dany-le-rouge dans son pamphlet Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (réédité chez Agone, 12 euros). Me reste en mémoire une de ses formules : « Ma génération n'a connu qu'un seul type d'intello : l'intello flatteur du Prince ».
Arrivé au boulot, presque à l'heure, je suis immédiatement entré en réunion avec mes chers collègues. Sur la table trônait un Charlie-Hebdo. Je pensais qu'il s'agissait du numéro historique, acheté par tous, et abandonné depuis. Or, non, mauvaise langue que je suis, il s'agissait du dernier en date, avec le commentaire de son acheteuse : « Regardez comme c'est drôle, cette une ! » La tranche de poilade était constituée d'une caricature approximative de Sarko et de cette légende : Mais qui peut avoir envie de revoir cette gueule ? Je n'ai pas entendu de rires autour de moi, ça m'a rassuré un peu. A moins qu'ils se soient tous abonnés dans l'esprit du 11 janvier et aient déjà épuisé, chez eux, peinards, leur quota de franche rigolade. Je me suis abstenu de poser la question, laissant à mes camarades le bénéfice du doute.

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