mardi 28 avril 2015

Lire la France




Les livres, j'en mets de côté qui ressortent un peu selon l'humeur, le hasard. A peine Soumission terminé, les yeux filent le long d'étagères pas bien en ordre, les mains s'emparant d'un volume bleu, De chez nous, de Christian Authier, un service de presse sur le point d'être oublié. Le Houellebecq, c'est une amie qui me l'a prêté. Il est resté un moment sur mon bureau, sollicitant mon attention non seulement à chacun de mes séjours devant le clavier mais également à chaque coucher, mon bureau étant installé dans un coin de la chambre. J'ai toujours du mal à lire les livres que l'on me prête. L'attente par dessus l'épaule, certainement. Quant à cet écrivain, j'ai tourné autour plusieurs fois sans m'y confronter. Sa surmédiatisation, son personnage (ce que j'en ai vu, sans TV et fuyant les journaux l'adulant) me l'ont fait longtemps tenir à distance. J'étais pourtant là à ses débuts. C'était du temps du Jour, un quotidien ayant à peine tenu le temps d'une année. Le Jour et la Nuit. La Nuit, c'était la partie culture, au sein de laquelle j'ai un peu écrit et glissé quelques entretiens. L'un des responsables de ces pages, Yannick, qui était devenu un ami avant de quitter la région, venait de découvrir Houellebecq, m'en avait fait l'éloge et lire ses poèmes à La Différence. Et puis l'auteur a décollé sans moi (mais avec beaucoup d'autres), occupé ailleurs et rapidement circonspect devant les polémiques entourant son succès.
Soumission fut donc être le premier. J'ai oublié de fêter ça. L'exemplaire qui m'attendait avait une couverture usée et une curieuse dédicace en première page. Non de l'auteur mais d'amis de mon amie, un certain Sabi et une certaine Marcelle qui signent avec toute leur amitié. Je me suis demandé qui ils étaient et surtout s'ils avaient lu le livre avant de l'offrir... Lire Soumission loin déjà de l'esprit du 11 janvier, si tant est qu'il ait un jour existé, est la meilleure solution finalement. C'est une activité rapide, amusante, troublante, décevante. Je me demande si Houellebecq écrit toujours aussi platement, si son style scolaire, auquel s'ajoute une érudition wikipédiesque, ne permet pas de mieux balancer à son lecteur, et à ses fans, ses divagations paranoïaques, provocatrices et parfois drôles. 
Lire Soumission aujourd'hui me renvoie à mes amours de jeune homme, ou tout au moins à certaines convictions ou postures. L'anarchisme, le nihilisme, voire parfois le cynisme, je les ai fréquentés et garde encore dans mon cœur le premier de ces systèmes de pensée, justement parce qu'il n'en est pas un à mes yeux. Le personnage de Houellebecq, faux double, est effacé, retiré comme j'ai parfois l'impression de me retirer de toute vie sociale sérieuse. Le trouble se situe dans ces eaux. Il s'accentue avec un constat de la vie politique dont je me sens très proche, l'ambiguïté concernant le FN et une fixette sur l'islamisation en moins. Au fil des pages, j'ai l'impression que notre grand écrivain travaille la télé branchée en permanence sur une chaîne d'info en continu, tant il brasse avec malice les "préoccupations des Français" en boucle. Je reconnais que le livre me dérange et me déçoit. L'accession au pouvoir d'un Musulman semble fort improbable. Aujourd'hui. Si les choses en restent là, au délitement progressif de notre société conduit par des bandes de salopards faussement rivales, j'entrevois plus facilement autre chose, de l'ordre d'une guerre civile. Mais c'est peut-être trop facile justement. Facile aussi, ce dernier chapitre où je sens une démission de l'auteur de Soumission. Une certaine lâcheté. Rédigées au conditionnel, la conversion puis la réintégration du petit prof, nécessaires au propos du livre, effacent selon moi le point de vue de l'écrivain, laissant place à l'ironie, au spectacle de la farce littéraire. Peut-être ces sujets sont-ils difficiles à traiter en fiction. Ou faut-il un peu plus de talent ou de travail. 
Le travail, j'ai l'impression qu'il ne fait pas peur à Christian Authier. Quant au talent, il n'a guère besoin de le chercher. J'ai lu son livre avec faim. Je me suis régalé de sa plume soignée mais jamais précieuse, contrairement à sa démarche. Son érudition est passionnée et contagieuse. Son indépendance d'esprit est réjouissante. Il y aurait beaucoup à dire de son essai qui, je viens de l'apprendre car cela m'avait échappé, obtint un prix prestigieux et mérité à la dernière saison des feuilles mortes. La nostalgie, l'appel à la résistance et sa fustigation de cette triste époque, du culte de la performance dans tous les domaines, de la dématérialisation des rapports humains, du foot-business (car Authier aime le foot ! - et le cinéma), de l'appauvrissement de la langue, de l'amnésie politique, des nouvelles normes et de la confusion des (grands) esprits..., n'ont rien de rance. Bien au contraire, Authier croit en son pays, sa langue, sa culture, sa grandeur d'esprit. Il en attend le retour. En traque partout les traces. J'aimerais être aussi optimiste que lui, moi qui ne me suis jamais senti chez moi ici ou là. Fils d'immigrés espagnols, j'étais l'espingouin en France et "el franchute" en Espagne. J'ai pris, volé ce que j'ai pu dans les deux cultures, mais ai de plus en plus de difficultés à me définir, me situer. J'ai fait avec, ou plutôt sans, longtemps et aujourd'hui, en ces temps immatériels, au gré de ce genre de lectures, je déplore l'absence du "nous" dans mon vocabulaire.
Je ne sais pas ce que Christian Authier pense de Houellebecq bien qu'il le cite au détour d'un paragraphe. C'est chez Authier que j'ai glané, issue de La France contre les robots, la citation de Bernanos à propos de la conspiration contre la vie intérieure. J'y ai retrouvé le nom de certains écrivains croisés ici et là, mis de côté dans ma tête, non encore lus mais immédiatement commandés à mon libraire, Bernard Chapuis ou Stéphane Hoffmann. Des auteurs pour happy few, comme dit Authier, aux préoccupations proches. 
Avant de refermer le livre, j'ai consulté la rubrique Du même auteur pour m'apercevoir que je n'avais pas fait le rapprochement avec Le nouvel ordre sexuel, lu et très apprécié à sa parution en 2002, et pourtant retrouvé récemment lors de mon déménagement. J'ai donc commandé par la même occasion quelques autres ouvrages d'Authier en espérant que madame Columbo, préoccupée par nos finances, n'ait pas le temps de lire ce blog...

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