Hier soir, j'ai appelé ma mère pour prendre des nouvelles. Je lui ai raconté l'amour de Nina pour Rafa, elle m'a parlé de son rendez-vous chez son rhumatologue, des infiltrations à venir pour son autre genou, en piteux état après toute une vie passée à nettoyer les demeures de "gens qui ont de l'argent", comme elle dit. Et puis, elle m'a demandé si j'avais suivi l'affaire qui secoue l'Espagne. C'est que, depuis qu'elle est moins mobile, elle passe beaucoup de temps chez elle et, outre la lecture, occupe ses longues journées par des séances de télévision, espagnole de préférence qu'elle reçoit par satellite. Elle s'offusquait de voir ce salaud cloîtré chez lui et non pas jeté en prison. N'ayant ni satellite, ni écran TV, et déconnecté en général de l'actualité chaude, je n'ai pas bien saisi de quoi elle me parlait. Mais une chose était sûre, tout cela était un peu exagéré.
Ce matin, j'ai quand même cherché. Et ce qu'il ressort de ma petite enquête est que la personne qui a plus qu'exagéré n'est pas ma mère, mais bien le type en question. Un de ces "gens qui ont de l'argent". Le type se nomme Rato, qui signifie "moment" en castillan. Et ça fait effectivement un moment que Rodrigo Rato s'en met plein les fouilles, semble-t-il.
Celui qui, du temps de ses fonctions de ministre de l'économie du gouvernement Aznar (Parti populaire), était présenté comme le meilleur d'entre tous, vient d'être entendu par la police. La justice le soupçonne de blanchiment de capitaux et de fraude fiscale. Celui qui présida le FMI de 2004 à 2007, sans nullement voir venir la grande crise de 2008, semble avoir profité de l'amnistie fiscale votée en 2012 par Mariano Rajoy (Parti populaire) non seulement pour rapatrier sa petite fortune mais également pour blanchir un peu plus de fric en passant.
Celui qui se posait en combattant de la fraude fiscale est, par le biais de comptes maquillés, à l'origine de la banqueroute de Bankia, la grande banque qu'il présidait de 2010 à 2012, contraignant l'Etat espagnol à investir 24 millions d'euros afin de sauver l'établissement financier.
Celui qui, du temps de sa splendeur comme numéro 2 du gouvernement Aznar, une coupe de champagne à la main, avait pour principale devise : « Nous ne sommes pas une famille. Rappelez-vous que nous sommes ici pour travailler ! » Aujourd'hui, on voit mal comment celui qui symbolisa le "miracle espagnol", la fameuse bulle immobilière, qui, selon le fisc, est à la tête d'une fortune estimée à 27 millions d'euros, pourrait échapper aux geôles de son pays tant aimé. Ce qui m'interroge davantage, c'est pourquoi maintenant et pourquoi lui ? J'imagine que son enrichissement a pu se mettre en place avec la complicité de quelques uns, sa famille politique par exemple. Or, bien embarrassé, Rajoy aujourd'hui prend ses distances avec le pestiféré. C'est que les échéances électorales approchent et que l'appartenance de Rato au PP fait un peu tâche. Certes. Rato est-il jeté en pâture à l'opinion, fatiguée par l'austérité et les affaires, histoire de montrer que le PP, mouillé dans de nombreux scandales, fait le ménage, est et sera exemplaire ? Je n'ai pas de réponse, bien entendu. Mais comment ne pas être offusqué par ces pratiques, répandues à droite comme à gauche, et ne pas y voir l'épuisement d'un système, politique et économique, dont les acteurs vivent dans un monde parallèle, bien éloigné des réalités quotidiennes de citoyens broyés par leurs actions et ne croyant plus à leurs promesses et à leur capacité à construire un projet commun ? Demain dimanche, j'irai voir ma mère, on reparlera de tout ça et croyez-moi, on n'en restera pas là...
Pour les hispanophones, à lire ce papier un peu long mais fort instructif sur l'indispensable CTXT.
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