mardi 9 février 2016

Too late blues

Andre de Dienes via Pop9


- Arrête de me regarder !
- J'adore ça.
- Moi, pas !
- T'aimes pas me regarder ?
- Je n'aime pas quand tu me regardes ! En plus, ça me déconcentre et je ne peux plus lire.
- Je te trouve magnifique, c'est tout.
- N'importe quoi, je suis toute moche !
- Pas du tout !
- J'ai le visage plein d'huile !
- Et alors ?
- Avec des lunettes !
- Elles cachent tes poches sous les yeux...
- Tu es horrible !
- Toi aussi. En fait, je te regardais en me demandant pourquoi j'avais choisi de vivre avec une femme aussi affreuse.
- Personne ne t'y oblige.
- C'est vrai ?
- Nous ne sommes pas mariés.
- Tu as raison.
- Quand les problèmes d'humidité seront réglés, on met la maison en vente et chacun va vivre de son côté.
- Bonne idée. Je te vois bien avec ta fille, le chien et le chat, dans un studio.
- Tu t'en ficheras. Tu auras refait ta vie dans le sud, ou en Espagne.
- Ah oui, c'est vrai. Jusqu'à quel âge peut-on refaire sa vie ?
- Essaie, tu verras bien. Je peux reprendre ma lecture ?
- Tous les jours, je mesure ma chance.
- De quoi tu parles ?
- De vivre avec toi.
- Tu parles...
- C'est vrai.
- Un jour, tu tomberas sur une fille, plus jeune, avec plus de seins, sans lunettes et sans poches sous les yeux, qui se couche sans se couvrir le visage d'huile...
- Possible. J'en ai connu quelques unes qui correspondent à ce tableau.
- Tu vois ? Ça peut donc arriver de nouveau. On n'y peut rien, c'est comme ça.
- La vie ?
- Les hommes !
- Et les femmes, c'est comment ?
- Elles restent seules, après un certain âge.
- C'est scientifique ?
- Non, tragique !
- Tiens, je n'avais pas pensé à ça...
- A quoi ?
- Au fait que tu étais la femme la plus âgée avec laquelle j'avais couché.
- Tu es monstrueux !
- Non, c'est un fait.
-
C'est parce que tu as toujours été avec des filles plus jeunes que toi !
- Pas forcément. Quand j'étais avec des filles de mon âge, voire plus âgées, j'étais plus jeune, tout simplement.
- On a 5 ans d'écart ! Et quand on s'est connu, j'étais encore jeune.
- Mais c'était il y a longtemps, donc, forcément...
- Tu es affreux ! J'ai de plus en plus la nostalgie de mes années de fac. J'étais jeune, jolie, légère... J'aimerais tant y revenir.
- La science fait des progrès. On va vivre de plus en plus vieux. Mais revenir en arrière, je ne crois pas que ça arrive un jour.
- Il faudrait, pourtant ! Si tu m'avais connue à cette époque-là...
- L'âge n'a aucune importance, je te taquinais.
- Tu dis ça aujourd'hui...
- J
e t'aime et te désire aujourd'hui comme je t'aimais et te désirais il y a huit ans. De plus, tu sais bien que tu ne fais pas ton âge.
- Si, malheureusement.
- Quand d'autres te le disent, tu es toute contente, lorsque c'est moi, tu ne me crois pas.
- Ça, c'était avant. J'ai l'impression d'avoir pris 10 ans depuis que nous sommes dans cette maison.
- A cause de l'humidité ?
- Pas seulement !
- Ça coïncide peut-être avec une période de la vie durant laquelle on vieillit tout à coup.
- C'est affreux. Mais, toi aussi, je te vois vieillir.
- Donc, tout va bien.
- Non, les hommes, c'est pas pareil. A 50 ans, ils peuvent encore séduire des filles plus jeunes, être père...
- Pour ma part, c'est fait, tout ça...
- Tu m'énerves : tu as tout fait !
- Tu devrais être rassurée : moi qui ai tout fait, comme tu dis, je choisis de rester avec toi.
- Un jour, tu en auras assez.
- De tes angoisses ?
- Bon, je peux reprendre ma lecture ?
- C'est ce qui pourrait me faire partir.
- Que je veuille lire ?
- Non. Que tu aies peur que je parte et que tu ressasses ça sans cesse.
- Je ressasse sans cesse ?
- Un peu, oui.
- Tu crois que tu ne ressasses pas ? Tout le monde ressasse. Je suis certaine qu'il y a bien pire que moi !
- Possible, mais c'est avec toi que je vis.
- Je peux finir ma nouvelle ?
- C'est La Dame au petit chien ?
- Je n'y suis pas encore arrivée.
- A quoi ?
- A La Dame au petit chien !
- Je croyais que c'était celle-ci que tu voulais lire.
- C'est un recueil, je le lis du début à la fin
- Et alors ? Elles te plaisent, ces nouvelles ?
- Pas toutes.
- Laquelle lis-tu ?
- La Pharmacienne.
- Je ne m'en souviens plus, j'ai lu ça il y a des années...
- Ecoute : « Les maris, c'est une engeance si ennuyeuse qu'ils feraient bien de dormir tout le temps... »
- Bonne nuit, alors. 
- Tu ne lis pas ?
- Non, je vais ressasser.


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