mardi 11 octobre 2016

Un moment de faiblesse





- Je ne te demande pas si tu vas voter aux Primaires...
- Quelles Primaires ?
- Les Primaires de la droite. Moi, oui.
- Effectivement, tu aurais mieux fait de ne pas demander. Qu'est-ce qu'on en a à foutre de ces Primaires ?
- C'est-à-dire que je suis assez d'accord avec la stratégie de Juppé.
- De qui ??!!
- Juppé. Il invite les électeurs de tous bords à venir s'exprimer. Une manière de faire barrage à Sarkozy.
- Qu'est-ce que j'en ai…
- …Oui, je sais, tu ne t'intéresses à rien…
- …Pas à ce cirque en tous cas.
- Tu ne te rends pas compte, Sarko est dangereux.
- On l'a vu à l'œuvre. Nos concitoyens ne sont pas cons au point de voter de nouveau pour lui.
- Détrompe-toi ! Et puis, imagine un second tour avec Sarko et Marine.
- Tu dis "Marine" ?
- Les gens seraient quand même tentés de voter FN puisque Sarko, on a déjà essayé.
- On en reprend une dernière ?
- Je croyais que tu ne buvais plus.
- Ça me donne soif d'entendre ce genre de conneries.
- Evidemment, toi, tu es au-dessus tout cela
- Ni au-dessus, ni au-dessous. Sur le côté. Ailleurs. Et ça me va très bien. Je laisse tout ça à ceux que ça intéresse, qui n'ont rien d'autre à faire de leur vie… Quand il m'arrive d'entendre à la radio des bouts de discours ou d'intervious de ces gens-là, ceux qui promettent la baisse du chômage, le retour de la croissance, la lutte contre les paradis fiscaux ou contre le terrorisme, la question des migrants, tous ces mensonges éhontés, ces approximations incontestées, le cynisme généralisé, ce racolage pathétique de vieille pute sur le retour, j'ai des envies de meurtre.
- On risque tout de même de se retrouver dans un état fasciste !
- N'y est-on pas déjà ? Tu vois des différences entre Sarko et Valls ? Entre Macron et Le Pen ?
- Il faut empêcher ça à tout prix !
- Et voter contre ces fripouilles ?
- Ben, oui !
- Tu n'as jamais eu envie de voter pour ?
- Pour qui ?
- Je ne sais pas. Un candidat qui te plaît, dont tu as lu le programme, qui a un projet intéressant, qui ne fait pas de démagogie, un type ou une nana qui ne viendrait pas du sérail, qui ne serait pas financé par les lobbies et l'argent sale…
- Je ne vois pas qui peut incarner un tel candidat.
- Donc, comme tout le monde, tu votes contre ceux qui te paraissent dangereux sans comprendre qu'ils sont tous, peu ou prou, issus du même moule, soumis à la même tyrannie
- Tous pourris, c'est ça ?! 
- Bon, je préfère me taire...
- Tu ne te sens pas esseulé ?
- Esseulé ? Par qui ?
- A force de tenir ce genre de discours...
- Je ne suis pas esseulé, je m'isole. Et quand il m'arrive de sortir de cette solitude, par faiblesse, je le regrette aussitôt. Tiens, l'autre soir, j'ai accepté d'accompagner ma douce à un dîner. Une de ses amies, que j'aime bien, organise souvent de petits dîners sympathiques le vendredi, mais je n'y suis pas allé depuis des mois notamment à cause de mes soucis de santé. Elle me sait rétabli et tenait à ce que je sois là. 
- Et t'as fait ton numéro !
- En général, l'apéro dure trop longtemps. On le prend dans la cuisine tandis qu'elle prépare le repas. Résultat, tu arrives à table avec un petit coup dans le nez. Et moi qui ai perdu l'habitude de boire... Tous ces mois de réclusion m'ont également fait perdre l'habitude de discuter, fait oublier les bonnes manières – si tant est que je les connaissais. Bref, ils se sont mis à parler politique, démocratie, Trump, Poutine... J'avais l'impression qu'on me récitait le contenu d'un JT. On est condamnés à parler de ça ? Tu vois, je les aime bien, et d'habitude, en société, je ferme ma gueule, je suis plutôt timide, mais là, l'alcool aidant certainement, je n'ai pas pu m'empêcher de sortir ce que personne, et encore moins dans ces circonstances, ne veut entendre...
- C'est-à-dire ?
- Qu'ils étaient aveugles, que cette prétendue démocratie où l'on vote contre et jamais pour, où l'on s'assoit sur le résultat d'un référendum, où les flics matraquent la jeunesse, cette démocratie était une farce, que s'informer en écoutant France inter, en regardant LCI ou en lisant Libé ou Le Monde, c'était se condamner à l'obscurantisme et répéter à l'envi le discours libéral ambiant en animaux bien domestiqués
- Putain, mais jamais je ne t'inviterai à dîner, moi...
- Leur gamine de 13 ans, qui ne rêve que de shopping et de piercing en chantant des chansons des années 80, m'a alors mouché : En critiquant tout, tu n'arriveras à rien, qu'elle me balance. Mais vous croyez arriver à quoi en étant à ce point asservis ? Ils me regardaient tous comme si j'étais victime d'une crise de démence. Ça fusait de tous les côtés.
- Tu devais être fier de toi !
- Pas du tout, c'est une souffrance que d'être comme ça.
Ma copine avait honte de moi. Et moi aussi ! N'ayant aucune prise sur leur pensée formatée - mais de gauche, hein ! -, ils se sont lancés dans mon procès ! Pourquoi tu ne la fais pas, la Révolution, toi qui es si malin ? En gros... Je ne voulais qu'une chose : foutre le camp ! Mais ils ont tenu à ce que je reste "discuter"... Pourquoi pas faire un selfie pendant qu'ils y étaient ? On devrait, comme ces Asiatiques qu'on croise dans les rues, porter en permanence un masque nous protégeant de ce genre de pollution de l'esprit. 

- Tu leur as sorti ça ?
- Non, je me suis contenté de me resservir un verre et regretter l'époque de ma convalescence où je ne voyais plus personne...
- C'est déprimant...
- A qui le dis-tu... T'en reprends une dernière ?

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