jeudi 8 septembre 2016

Vive les télécrivains !




Augustin Traquenard vient d'accepter, avec une joie non dissimulée, une érection infantile et une rémunération conséquente, d'animer, dans un ancien monastère transformé en résidence d'écriture, un débat conviant le gratin des grands écrivains français d'aujourd'hui et néanmoins contemporains. Ont répondu présent, Michel Ouzbek, Christine Légo, Amélie Latombe, Delphine Végane, Jean de Moisson, David Mikinos, Yann Moite ou encore Frédéric Belvédère
Point de départ du pastiche Un bon écrivain est un écrivain mort, de Guillaume Chérel, publié aux éditions Mirobole.

Extraits :

…le trajet qui mène jusqu’à Fontan-Saorge est magnifique, mais il ne faut pas avoir le vertige ni être claustro. Surtout quand la micheline pénètre les tunnels, d’un noir charbonneux, sur un parcours aussi inquiétant qu’un train fantôme de la Foire du Trône.
dans un compartiment rempli de lycéens bruyants de ce train des Merveilles, Frédéric Belvédère songeait déjà au retour, tout en biberonnant sa flasque de whisky, un œil distrait sur les pages faits divers de Nice Matin.
Vaseux après une nuit agitée au Montana, il évitait de regarder en bas, quand le train longeait des précipices, ça lui fichait le vertige. Et lorsque le haut-parleur annonçait les arrêts, comme celui de Drap, ou de Drap-Cataron, il se demandait comment des êtres humains pouvaient vivre ici plus d’une semaine sans se jeter dans la rivière pour en finir.
Plus ça grimpait dans la montagne, dont il distinguait les derniers névés au sommet, plus il trouvait que l’accoutrement des locaux virait au laisser-aller. Hormis les quelques touristes amateurs de randonnée habillés à l’identique, comme des Schtroumpfs sponsorisés par Décathlon, la faune alpine paraissait hirsute, dépenaillée. Un peu campagne sauvage pour tout dire. Un autre monde.
Depuis la mort de Jean-Edern Hallier, Belvédère occupait – avec Michel Ouzbek, mais dans un autre genre – la place de l’écrivain provocateur. Celui qui écrit des horreurs, surgit ivre mort des restaurants, jette les livres par-dessus son épaule en pleine émission télévisée...
Ce dernier était de mauvaise foi. Mais il avait atteint son objectif : faire parler de lui, de lui et encore de lui. Il avait compris depuis longtemps que l’essentiel était de faire le buzz, de susciter la polémique. Ne jamais laisser indifférent. Même si on avait tort. Puisque nous vivions définitivement l’ère des imposteurs et du ricanement généralisé, avait décidé Belvédère, il en serait le parangon, le représentant incarné.
Il avait compris très jeune que dans cette société du spectacle, fondée sur l’apparence et le divertissement, faire rire, avoir de l’esprit, pouvait aisément passer pour de l’intelligence.
Règle numéro 1 : toujours faire comme si vous saviez mieux que les autres.
Règle numéro 2 : avoir l’air au courant de ce qui se passe.
Règle numéro 3 (qui découle de la 2): paraître en avance sur son temps. Surtout pas à la mode, ou – horreur ! – à la page.
Règle absolue : toujours se différencier de la masse.
La pointe du snobisme étant de mépriser ce que tout le monde adore.
De prendre systématiquement le contre-pied de ce qui fait consensus.
En parfait dandy, il savait s’entourer de beauté. En général du sexe féminin. Et pour finir, il truffait toutes ses phrases, ou textes, d’anglicismes. C’était totally d’avant-garde.
La littérature n’avait été qu’un prétexte pour se faire remarquer.
Son vrai projet de vie avait toujours été de devenir célèbre. Comme son ami Yann Moite, Frédéric Belvédère n’avait jamais rêvé d’être écrivain mais d’être « télécrivain ».
Or, pour être connu – à défaut d’être reconnu – comme écrivain, dans sa jeunesse, à la fin des années 1970, il fallait ou bien être déjà mort, ou bien passer à la télé, sur le plateau d’Apocryphe.
Il y avait vu Bernard Pinot boire les mots de Jean de Moisson et de Philippe Salers, merveilleux en écrivains français issus du siècle des Lumières, érudits et spirituels. Toujours être spirituel, avait-il alors noté.
Il s’était aussi étonné des bafouillages de Sagan et Madiono. C’était rigolo. Surtout, il avait assisté au grand show de Charles Bukowski, parfait dans le rôle de l’écrivain américain alcoolique vidant une bouteille de blanc sous les protestations des autres invités qui se contentaient, eux, de fumer comme des pompiers.
C’est le 22 septembre 1978 exactement, sur les coups de vingt-deux heures trente, juste avant le film au rectangle blanc, que Frédéric Belvédère avait eu la vocation. Il serait écrivain-qui-passe-à-la-télé. Il serait télécrivain.
N’étant pas américain ni mort, donc, il ne lui restait plus qu’à écrire des romans français d’actualité. Spirituels (don’t forget !) de préférence. C’est-à-dire nombrilistes et désenchantés.
Ce n’était pas très compliqué, deux choses lui suffiraient.
Premièrement, s’inspirer de sa vie de pauvre petit garçon riche et de sa première expérience professionnelle dans le monde de la mode. Un milieu cynique et superficiel. Dont il décrirait la superficialité et le cynisme en se mettant en scène au moyen d’un double littéraire d’origine slave, Oktav Pirbot, grand buveur de vodka. Da !
Deuxièmement, passer à la télé.
Comme chroniqueur, tout d’abord, puis animateur-présentateur.
En observant bien Jean de Moisson, qu’il se faisait aujourd’hui une joie de retrouver au monastère, Frédéric Belvédère avait appris à manier les bons mots pour s’attirer les bonnes grâces de son auditoire. En l’écoutant attentivement – ses anecdotes étaient si savoureuses –, il avait compris qu’il suffisait d’apprendre par cœur quelques citations littéraires pour paraître cultivé. Et spirituel, donc. Toujours. C’était la règle d’or.
Une fois connu comme télécrivain, Belvédère était passé à autre chose. Il était devenu Cinéman. Comme Yann Moite, encore une fois, mais aussi comme David Mikonos et Michel Ouzbek, ses amis télécrivains – officiellement ils étaient tous amis, officieusement ils se démolissaient à la première occasion.

Guillaume Chérel fera le guignol pour la sortie de son bouquin le 15 septembre
à la librairie Le Monte en l'air, rue de la Mare, Paris 20e, vers 18h00.

4 commentaires:

  1. Traquenard est le mot qui définit bien les médias.😂

    RépondreSupprimer
  2. Ces gens-là ne méritent pas votre talent...
    Go on young man !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme vous y allez ! (le texte ci-dessus n'est pas de moi)

      Supprimer
  3. Disons donc que l'auteur de ce papier a du talent... Ce qui ne change rien au fond, non ?
    Et votre blog est fort intéressant !
    Bien à vous.

    RépondreSupprimer