dimanche 25 septembre 2016

Sûr que cette histoire t'est familière




Ah, le temps, et tout se comprend !

Comme il nous revient
parfois à la mémoire
des choses sans importance
que nous laissons
pour le lendemain
il y a longtemps déjà

je me suis rappelé
vieil amour
quand je t'aimai.
 ***

Sûr que cette histoire t'est familière

Au bout du comptoir
une femme ; une
femme a priori
comme tant d'autres : qui fume,
boit, bavarde, et rejette
ses cheveux en arrière
je dis bien, comme tant d'autres.

                                  Jusqu'à ce que son
regard croise par hasard
le tien
– du moins en as-tu l'impression –
et un bref 
instant
le temps est supendu,
et cette femme est unique,
et tout change,
et tout peut arriver.

                                  Tout.
Mais aussi
– comme c'est
presque toujours le cas –
il est possible
qu'il ne se passe
absolument rien.
 ***

Ton père est parti en voyage

J'étais en train de pisser
quand on m'apprit
la nouvelle.
J'avais 7 ans. 
Un gamin est arrivé
dans mon dos,
et il me l'a dit.
Aussi simple que ça.
Ensuite le curé m'a fait venir
dans son bureau
– là où il s'enfermait
le dimanche
avec le vin
les gâteaux
et la mère supérieure –,
pour me sortir les bobards
d'usage.
Que mon père
n'était pas mort
pour de bon,
qu'en réalité
il était juste parti en voyage,
et qu'un jour
nous allions nous revoir
aux côtés de Dieu.
Je me souviens
que l'expression « aux côtés »
m'avait un peu chiffonné,
mais je n'ai rien dit,
au cas où.
Je suis resté
là,
en silence,
attendant…
jusqu'à ce que soudain le curé
m'attrape par les épaules,
me regarde un moment
dans les yeux,
et me dise que je devais être fort
désormais
et agir comme un homme
et ne pas pleurer.
Et retourner
jouer dans la cour. 
Le lendemain
on enterrait 
mon père.
Et cet après-midi-là
dans l'église
de mon quartier,
un autre curé l'appela
poussière,
serviteur,
défunt,
et je ne sais quelle autre
connerie.
La vérité, c'est qu'il vint
beaucoup de monde.
Et que mes tantes
me caressèrent la tête
plusieurs fois.
Et aussi
que j'écoutai le curé
et ne pleurai pas.
C'est ainsi
que ça s'est passé.
Je veux juste ajouter
que mon père fut un chic
type,
un chic type
peu chanceux.
Et que je n'ai même
pas eu le temps
de l'aimer.


Karmelo C. Iribarren, La Ciudad, antología poética 1985-2014, 
Renacimiento, Sevilla
traduction maison

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