Kim Dong-kyu via This isn't Happiness |
Hier soir, la fille de ma fiancée, 13 ans, était invitée par une copine au concert de Justin Bieber. J'apprenais ce même jour que l'idole sucrée des ados, souhaitant privilégier sur scène des chorégraphies sommaires, se produisait ouvertement en playback. Les deux concerts parisiens cependant affichaient complet, des fans campant sur place, comme d'autres (les mêmes ?) le font lors du lancement d'un nouveau produit high-tech, 24 heures avant l'ouverture des portes de l'ancien Palais omnisport du 13e arrondissement, répondant désormais au doux nom d'une chaîne d'hôtels, mercatique et naming obligent...
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Pierre, un ami scénariste, pleurait au téléphone. Il s'est vu ces jours-ci obligé de s'équiper d'une nouvelle machine à écrire. A peine rentré de vacances, son ancien souteneur l'a lâché. Je passe sur les sauvegardes inexistantes, un classique. Ce qui le rend à la fois furibard et déprimé, c'est non seulement la somme à débourser, mais l'univers que l'on se voit contraint de fréquenter lors de l'achat de ce nouveau produit à la fameuse obsolescence programmée. Le magasin était une illusion de libre-service peuplé de jeunes consommateurs la bave aux lèvres, hallucinés par les produits brand new exposés, de vendeurs cool, que l'on distingue à peine des premiers, si ce n'est par leur oreillette-micro, le tutoiement facile et les conseils-slogans récités par coeur comme dans une pub. La marque à la pomme croquée, sur laquelle se sont formés tant d'écrivains et de journalistes du temps où les rédactions et les éditeurs ne fonctionnaient qu'avec elle, ne recule devant aucune escroquerie pour dépouiller un peu plus ses victimes. Désormais, il sera impossible de lire un DVD sur la machine. Seul l'ajout d'un lecteur externe, au prix également prohibitif, permettra l'opération. Impossible également d'installer les drivers de son imprimante ou de son scanner, certainement périmés aujourd'hui. Idem pour le logiciel de traitement de texte. L'absence de fente pour l'insertion d'un CD d'installation contraint le pigeon à s'abonner à l'application en ligne, pour la modique somme de 10 euros par mois... Et ainsi de suite. J'ai tenté de consoler Pierre en lui rappelant qu'à Hollywood, on fait des films sur ce genre de voleurs, qu'ils sont les héros de notre temps...
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Dans la foulée d'un nouveau rendez-vous médical, je suis allé interrompre dans son travail un ami écrivain ayant lui aussi connu cet été quelques soucis de santé. Nous nous sommes soutenu mutuellement des semaines durant en échangeant de nombreux mails et textos chaleureux et étions enfin ravis de nous retrouver dans ce monde réel... Devant un verre d'eau, nous avons distribué nos déceptions et colères de spectateurs, quelques moqueries sur notre classe politique, une ou deux vacheries sur le monde intellectuel, nos déboires dans l'univers médical, ainsi que certaines confessions sur le monde de l'édition. C'est un fou, me disait-il de son éditeur, mais quitte à choisir, je préfère travailler avec un fou plutôt qu'avec des types qui se paient 10 000 balles par mois, se pavanent dans les soirées et ne lisent pas les livres. Le lendemain, il m'envoyait un mail pour me raconter que son éditeur, qui venait de louer son nouveau texte, l'avait "déprogrammé". En 36 ans (et presque autant de titres publiés), s'étonne mon ami dans son mail, il n'a jamais vu ça. En effet, l'éditeur fou avance un argument de poids pour virer mon ami : sa femme n'aime pas le titre de ce nouveau roman...
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De notre côté, hier soir, tandis que certains applaudissaient une machine sur scène et d'autres se faisaient gentiment apprivoiser par leurs nouvelles bécanes, nous étions, ma compagne et moi - et quelques autres -, enfermés dans une salle de danse. Nous tentions de glisser en cadence pour notre deuxième leçon de tango, reproduire tant bien que mal les compas, figures enseignées par la belle Carmen, une frèle Uruguayenne septuagénaire qui devra se montrer patiente avec nous tant est grande notre résistance au laisser-aller, à l'oubli de la raison au profit de la sensation. A l'issue de la séance, nous avons opté pour l'achat d'une carte de 10 cours, un défi supplémentaire, une contrainte nécessaire pour nous faire accepter la convivialité de circonstance, nous qui devenons chaque jour un peu plus de gronchons ermites. C'est l'ami Jérôme qui, nous sachant passionné de tango, la musique, nous a convaincus de venir essayer ce que nous avons toujours jugé hors de notre portée, la danse alambiquée et en cercle. Déjà Carmen nous invite à nous rendre, d'ici deux-trois leçons supplémentaires, dans les bals de tango ou les milongas. Lo que faltaba...
Un ami nous a gentiment filmés hier soir. Nous progressons, paraît-il...
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