mercredi 25 mai 2016

Thierry, John, Paul et les autres





Je ne sais comment je me suis retrouvé avec une liste de médecins de la région. Je cherchais quoi ? Etait-ce une prémonition ? Un nom m'a sauté aux yeux, celui de mon meilleur copain de collège. Un patronyme alsacien jamais croisé depuis. Sur son site, une photo, petite et de mauvaise qualité, balayait le moindre doute. Thierry était devenu généraliste, installé dans une de ces villes cossues des bords de Marne. A quand remonte notre dernier échange ? Je n'ose faire le calcul. Et puis, il serait sans doute faux. Un fait est certain : nous ne nous sommes pas revus depuis le temps du lycée.
Les deux premières années de collège, nous étions inséparables. Le foot et une certaine nonchalance nous avaient rapprochés. Enfant fragile, pauvre, et brun, j'avais immédiatement été adopté par sa famille bourgeoise, chaleureuse, et blonde. Le père, ingénieur chez EDF, faisant le gardien de but le samedi soir avec l'équipe corpo de hand-ball. Il nous emmenait souvent assister à ses matchs. Nous hantions les couloirs des gymnases avec notre ballon de foot que nous ne manquions jamais d'emporter. Avant la rencontre, à la mi-temps et après le coup de sifflet final, nous envahissions à nous deux le terrain de hand, transformé en mini terrain de foot et que nous parcourions entièrement, dans tous les sens, dans des matchs en un contre un. En général, j'étais ramené à la maison juste avant Télé-Foot. Mais il m'arrivait de rester dormir chez Thierry.
Il avait un petit frère que nous étions parfois chargés de garder. Un adepte de L'Ile aux enfants que nous regardions avec lui, en lui piquant son goûter. Je ne me souviens plus de leur composition, mais les quatre-heures que je prenais là-bas n'avaient rien à voir avec le morceau de pain et de chocolat de la maison et consistait généralement en une banane écrasée baignée dans un jus d'orange fraîche. Le bio n'était pas encore développé à cette époque, mais la mère de Thierry, femme au foyer, était très à cheval sur la bonne alimentation. Et quand elle nous envoyait acheter le pain, nous avions interdiction de fréquenter une autre boulangerie que celle dont toute la production était cuite au feu de bois, à deux pas de chez eux - Thierry rêvait donc de viennoiseries bien grasses. Totalement opposée à ma mère, elle représentait pour moi une sorte d'idéal féminin à trouver dans un avenir proche. L'ambiance tendue, disloquée, en déséquilibre permanent, étrangère, chez mes parents me poussait dehors, au grand air et à rêver de l'âge adulte qui passait forcément par l'amour d'une fille que je saurais parfaitement traiter. Il m'arrivait parfois de poser mes lèvres sur le carrelage de la salle de bains ou le mur des chiottes en imaginant baiser celles de ma fiancée. Comment s'appelait cette fille qui m'avait appris que cette pratique régulière préparerait à la distribution de patins de compétition ? Aujourd'hui, en observant la fille de ma compagne, collégienne, je constate avec effarement et amusement les ravages d'internet dans le domaine des recettes de beauté, de perte de poids, de pousse de cheveux rapide, et toutes ces fadaises que cet âge vulnérable avale avec résolution - et consommation. 
Thierry était fan des Beatles avec un seul disque, l'album rouge, compilation des années 1962 à 1966. Les paroles d'une simplicité étourdissante nous permettait de nous croire à la fois bilingues et romantiques. Les Beatles ont développé en moi cette soif névrotique de tout connaître d'un artiste dès sa découverte. D'autant qu'à la maison, où un vieux tourne-disques passait essentiellement les vieilles chansons de ma mère, un peu de flamenco de mon père et de la variété française, la pop sirupeuse des Fab Four était très peu appréciée. J'ai bassiné ma mère pour acheter l'album rouge puis le bleu, que j'ai préféré immédiatement. Plus tard, avec mes premiers cours et mes premiers gains, j'allais constituer la collection complète de la discographie des p'tits gars de Liverpool. Mais Thierry n'était déjà plus là.
J'avais treize ans quand nous sommes partis nous installer un an dans un village du nord de Madrid. Et c'était souvent seul que je partais le dimanche m'entraîner avec mon ballon. Les difficultés que nous y avons rencontrées, financières mais aussi de santé pour ma mère, nous ont contraints à sécher l'école quelques mois et rentrer dare-dare et la queue basse en France. Mon frère et moi avons repiqué et si j'ai retrouvé avec joie mon pote, il était désormais une classe au-dessus et notre amitié un échelon en-dessous. Les Beatles étaient heureusement toujours là. Elève de quatrième au lycée français de Madrid, l'espagnol était ma première langue obligatoire, l'anglais la seconde. Aussi dus-je reprendre cette langue à zéro et de retour à Paris, mon niveau d'anglais était redevenu celui d'un débutant. Ce sont des cours particuliers diligentés par une voisine, de moi secrètement amoureuse comme je l'appris plus tard, et les Beatles donc (malgré ma conversion progressive aux Stones) qui m'aidèrent à sortir du gouffre et devenir dès l'année suivante le meilleur élève en anglais, passant ainsi auprès de ma prof du statut d'élève moqué et banni à celui de chouchou auréolé de respect et envie.
Et cette année-là, Thierry est parti faire sa seconde scientifique dans un lycée coté de Paris, garantie d'une scolarité parfaite avant Médecine. Je crois que nous ne nous sommes jamais plus revus.
Je n'ai conservé aucun miroir de ces temps révolus. Ai très peu d'amis. Seule exception, Pascal, que je vois tout de même de moins en moins. La nostalgie de la jeunesse - sale époque -, les réseaux sociaux d'aujourd'hui, - sale époque - qui permettent de retrouver des personnes perdues de vue, souvent pour de bonnes raisons, très peu pour moi.
Le site du généraliste blond des bords de Marne indiquait une adresse de courriel. Je n'ai donc pas hésité. J'envoyai une bafouille, hésitant seulement à rappeler qui j'étais - ou plus exactement avais été. Il répondit une tartine enthousiaste, super heureux d'avoir de mes nouvelles, me racontant que, justement, c'était incroyable, invité à déjeuner chez un ami de Montreuil quinze jours auparavant, il s'était perdu en moto dans les petites rues et avait atterri devant la maison de mes parents. Les larmes aux yeux, il avait parlé de moi à sa femme enlaçée à sa taille et montré les portes qui nous servaient de cages dans nos parties de foot de rue. Il s'était demandé ce que j'étais devenu et si ma mère qu'il aimait tant habitait toujours à cette adresse. Je lui proposai de prendre un café ou un verre à l'occasion, après tout, nous sommes presque voisins. J'espère qu'il fera honneur à notre vieille amitié et ne répondra jamais.


2 commentaires:

  1. Mon premier 45 tours, que j'écoutais de façon aussi répétée qu'obsessionnelle sur ce mange-disque orange que beaucoup des plus de 20 ans doivent bien connaître, était Ticket to Ride. Il y eut ensuite Yellow Submarine puis, plus âgé, l'achat aussi de l'album bleu puis du rouge. Vers 13 ans, ce fut la découverte fascinée, sur une cassette, du Sergent Poivre. L'Album blanc vint ensuite et tout cela, mon cher Inconsolable, ne nous rajeunit pas.

    A croire que notre enfance, puis prime adolescence, furent rythmées par ces quatre gars qui avaient presque bouclé leur boucle de quatuor au moment de notre naissance...

    Oui, décidément tout cela ne nous rajeunit pas et m'incite à me remettre un petit coup de ce revigorant Everybody has something to hide except me and my monkey.

    RépondreSupprimer
  2. Dire que moi à l'époque j'écoutais Marie Laforêt en boucle. Je me demande ce qu'il faut en conclure...

    RépondreSupprimer