jeudi 7 avril 2016

Dépassés

Paul Almasy



- Tu captes encore quelque chose avec ton vieux Nokia ?
- Ça me suffit amplement.
- Tu ne peux pas continuer à rejeter l'innovation technologique.
- Comment dis-tu ?
- Tu m'as bien compris, arrête tes conneries... Alors, comment ça se passe dans ton nouveau boulot ?
- De quoi tu parles ?
- T'as un nouveau chef, donc tu travailles autrement, j'imagine.
- Pas vraiment.
- Je croyais...
- C'est surtout l'ambiance qui a changé.
- En bien ?
- C'est étrange. Un peu comme sur les photos de classe quand on était petit. Les gamins affichaient tous un sourire forcé. Avec mes collègues, c'est pareil. T'as l'impression qu'ils marchent tous voûtés désormais à force de faire des courbettes. Ils ressemblent de plus en plus à des gargouilles...
- T'en avais pas une qui rêvait du poste ? La Françoise ? Elle doit être malade...
- Tu ne crois pas si bien dire.
- Pourquoi ça n'a pas marché, sa candidature, à la Françoise là ?
- Je sais qu'on est là, appuyés au comptoir, mais tu ne pourrais pas, de temps à autre, respecter la langue française ?
- Oh, ça va ! Toi, l'Espingouin, tu vas me donner des leçons de français ?!
- Parfaitement, espèce de boloss !
- Bon, raconte : pourquoi la candidature de Françoise n'a-t-elle pas été retenue ?
- T'es pas non plus obligé de parler comme à la Sécu. La Françoise, elle s'est suicidée en plein entretien avec la DRH.
- Putain ! Tu ne m'avais pas dit !
- Au figuré, hein !
- Comment ça ?
- Je pense qu'elle avait tellement peur qu'on lui file le poste qu'elle a demandé un salaire de dingue. On en reprend une ?
- Je croyais qu'elle avait les dents qui rayaient le parquet...
- Non, pas vraiment. Elle aurait aimé le poste, pour le prestige, parce que c'est un être tout petit, mais elle est tellement bordélique qu'elle en devient incompétente. Elle a de graves problèmes de confiance, de simplicité dans ses relations avec les autres...
- Ben, ça doit pas s'arranger avec la nomination d'une gamine à sa place.
- Elle était malade, vraiment ! Elle a fait de l'hypertension, a failli clamser. Elle a été arrêtée une dizaine de jours. Elle a enchaîné avec la grippe, puis une gastro carabinée, et enfin, bien entendu, le dos bloqué. Elle qui se vantait de ne jamais être malade, de n'avoir jamais pris un arrêt de travail...
- Ben, mon vieux... Elle est revenue, maintenant ?
- Oui, la nouvelle est en place, tout le monde est à ses pieds, je te dis. Et vas-y que je te raconte ma vie, je te parle des coulisses de la boîte, je te demande si ça fait pas trop long, le trajet pour venir, j'essaie de te mettre dans ma poche, je te commente l'actualité...
- Tu assistes à tout ça ?
- J'en perçois des bribes. Mais ça ne change rien pour moi, j'arrive, je dis bonjour et je m'installe à mon bureau et ne leur adresse la parole que sous la torture.
- C'est toi qui va finir par tomber malade !
- C'est quoi, ça encore ?
- Une alerte.
- Tu peux pas couper ces conneries le temps de boire un coup avec ton pote ?
- C'est la suite des révélations des Panama Papers...
- Raison de plus !
- C'est quand même un événement de taille !
- Pas plus que la sortie de Star Wars épisode 7, le nouvel IPhone ou la dernière série dont tout le monde parle.
- Tu exagères, comme toujours !
- C'est du divertissement. Point.
- On apprend plein de choses ! Tiens, aujourd'hui, ça parle du foot et des sociétés offshore des clubs.
- Me fatigue pas avec ça. On sait tous que le fric des transferts mirobolants des footballeurs passe, depuis longtemps, par les paradis fiscaux, au même titre que l'argent de la drogue, de la prostitution, du commerce des armes, des banques, de la mafia et du financement des partis politiques.
- Mais là, t'as les noms...
- Je suis sûr que t'as pas les noms des gens qui sponsorisent ces révélations bidon.
- Y'a rien de bidon ! Tu ne peux pas t'empêcher de la ramener, toi !
- Je ne ramène rien. Je m'informe autrement qu'avec des alertes à la con !
- Ben, vas-y, raconte si t'es aussi bien informé !
- Tiens, cherche OCCRP. Un truc comme ça. Pour une fois, ton téléphone va te rendre moins bête.  
- Organized Crime and Corruption Reporting Project ?
- Oui, ça doit être ça. Ils te disent que c'est financé par une fondation ?
- Oui, créée par George Soros. 
- Et qui est Soros ?
- Je ne sais plus, ça me dit quelque chose...
- Un milliardaire. Avec une de ses entités et une agence pour le développement...
- L'Usaid ?
- Certainement, je ne sais plus... Soros est, par exemple, à l'origine de la tentative de coup d’État contre Chavez en 2002 mais aussi de bien d'autres renversements de régimes qui s'opposent aux intérêts des USA et aux siens.
- Je ne comprends plus rien.
- Oui, c'est un peu plus facile de balancer le nom de gens qui ont déjà la réputation d'être des magouilleurs, comme Platini, Messi, Balkany, Poutine... que de dire comment ce système fonctionne et pourquoi ces infos sont balancées par épisodes par un canard qui est la propriété de patrons millionnaires. T'as pas remarqué que le nom de Drahi, patron de Numéricable mais aussi de Libé est sorti, mais rien sur Niel ou Bergé, les patrons du Monde ? Aucun nom américain non plus, pays pourtant devenu un paradis fiscal. 
- Fais gaffe, tu deviens complotiste.
- Non, je te fais juste remarquer qu'il s'agit de propagande, de l'entertainment comme on dit aux States. Tu n'as pas entendu ces journalistes nous dire que si c'était scandaleux, tout cela n'avait rien d'illégal et appeler le système à s'autoréguler ? C'est un scandale de plus, qu'on oubliera dans deux mois. T'inquiète pas, l'argent va continuer à circuler de plus belle, les inégalités à se creuser... Pendant ce temps, le traité transatlantique se met en place, ce con de Macron ni de droite ni de gauche se prépare pour les présidentielles, on s'apprête à vivre une nouvelle crise financière et sociale sans précédent, les flics tabassent comme jamais, et Marine se frotte les mains...
- Putain, ça me dépasse... La dernière ?
- Ouais, ça donne soif, toutes ces histoires...

3 commentaires:

  1. Ils parlent vraiment de tout ça, dans leur bar à pulque mexicain ?

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  2. Guy béart, lanceur d'alerte...:
    "Suppose qu'on ait de l'argent
    Et qu'on soit intelligent
    Pour pas faire les imbéciles
    On s'achèterait une ville
    On l'appellerait Suez
    Ça je peux te l'assurer
    Et là bougre d'animal
    On se creuserait un canal
    On ferait payer tous les gens
    Ça nous ferait beaucoup d'argent
    Puisqu'il faut t'expliquer tout
    On rentrerait dans nos sous
    Puis avec cet argent-là
    On s'achèterait Panama."

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