Alain Tanner, c'était Dans la ville blanche, un film culte pour mon cousin Saturnin - avec un O en espagnol pour être précis. Cet été de 1984 ou 85, l'Alphaville de Madrid passait le film de Tanner à une séance de minuit. Je ne suis jamais allé le voir. Pas là, en tous cas. La journée, je travaillais, avec Saturnin - et un de ses ex-amants -, dans un bureau sans clim, à tenter de convaincre en français, en anglais, parfois en castillan, des producteurs ou distributeurs de nous filer une copie de tel ou tel film, des réalisateurs ou des comédiens d'accepter notre invitation low-cost pour un petit séjour en Andalousie. Après un repas trop lourd par le climat étouffant, mais seule rémunération concédée par ce salopard de boss, nous somnolions dans une salle de projection au énième film bulgare ou irakien sous-titré en anglais et que je serais amené à traduire en espagnol. En fin d'après-midi, j'errais dans cettte ville pas que blanche en compagnie d'une jolie blonde trop délurée pour moi.
Ma cinéphilie se mettait vraiment en place à mon retour. No man's land et surtout ce film étonnant, Une Flamme dans mon coeur au Saint-André des arts, terre bénie pour le cinéaste suisse. Puis Le Journal de Lady M. Si le premier était une découverte de l'univers erratique de ce type débonnaire, les deux autres constituaient un coup de pied sur ce qui aurait pu devenir son petit train-train, et pas seulement à cause du derrière de Myriam Mézières.
J'avais définitivement adopté Tanner, voulais tout voir, tout savoir, et réussissais sans mal à voler à la Fnac un livre grand format qui lui était consacré. Dans une salle de la cinémathèque - était-ce celle de Beaubourg ? -, je me régalais avec ses films plus anciens Le Milieu du monde, Les Années lumière, Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000... Puis au Saint-André aussi, les reprises de Charles mort ou vif et de La Salamandre. Et La Vallée fantôme, L'Homme qui a perdu son ombre avec cet extraordinaire Paco Rabal.
Né tout de même en 1929, Tanner était en bout de course - professionnelle - lorsque je l'ai rencontré. Ce devait être vers 1996, pour la sortie de Fourbi, pas très réussi, trop français. Mais nous évoquions son film précédent, un documentaire sur les dockers du port de Naples, un expérience d'autogestion à petite échelle des plus passionnantes pour le libertaire fanatique que j'étais alors. Nous restions deux-trois heures à bavarder de tout et donc de rien et je savais pertinemment que je n'utiliserais jamais cet entretien. C'était pour moi. Cadeau de la vie, à ne partager avec personne. Je sais qu'il s'enquit de moi auprès de l'attachée de presse, mais interdit par une absurde culpabilité, un sentiment d'imposture qui me colle à la peau, je ne donnais pas suite.
Par hasard, un soir de fête chez Lola, je me retrouvai face à Myriam Mézières. Je crois que je n'ai rien dit de mon amour pour Tanner et de mon trouble érotique face aux films auxquels elle avait plus que collaboré. Nous avons donc parlé toute la soirée, de rien comme toujours, de la vie, des origines, du cinéma. A plus de soixante ans, sans retouche aucune, elle dégageait toujours cette sauvage sensualité. Nous nous sommes revus deux-trois fois, toujours chez Lola avec qui elle avait un projet de pièce. Le truc est tombé à l'eau, comme toujours. Lola a filé ailleurs - n'envisageait-elle pas d'ailleurs de s'installer à Lisbonne ? Et je n'ai plus revu la belle Myriam. Mon ami Jérôme m'a récemment filé son 06 : faut que je l'appelle, on n'a qu'une vie, bordel !
Dans la ville blanche, je ne l'ai découvert que récemment, il y a trois ou quatre ans. Avais-je vieilli ? Mes préférences cinématographiques avaient-elles changé ? Ne supportais-je plus cette lenteur, cette torpeur, autrefois miennes ? Avais-je trop cultivé le culte de ce film ? Pouvant enfin le découvrir, j'étais déçu qu'il ne produise en moi davantage de bonheur. Je sortis de la salle dévasté, me transformant en personnage de Tanner errant de bar en bar, buvant à ma stupide jeunesse perdue et à la mort du cinéma.
Dans la ville blanche, je ne l'ai découvert que récemment, il y a trois ou quatre ans. Avais-je vieilli ? Mes préférences cinématographiques avaient-elles changé ? Ne supportais-je plus cette lenteur, cette torpeur, autrefois miennes ? Avais-je trop cultivé le culte de ce film ? Pouvant enfin le découvrir, j'étais déçu qu'il ne produise en moi davantage de bonheur. Je sortis de la salle dévasté, me transformant en personnage de Tanner errant de bar en bar, buvant à ma stupide jeunesse perdue et à la mort du cinéma.
Jean Perret, qui s'entretient ici avec Tanner il y a dix ans, ce fut à Montréal. Un déjeuner dans un lieu improbable et ce type en face de moi, insistant pour m'inviter en Suisse à un festival de documentaire qu'il dirigeait alors. Je passais mon temps à voyager en ce temps-là et naturellement, j'obtins du journal un petit séjour du côté du Lac Léman. Les dates ne correspondent pas, je ne sais pourquoi : Montréal, ce fut en 1995 et Nyon cinq ou six ans plus tard seulement… Mais peu importe.
Enfin, grâce à Louis Watt-Owen qui, sur son indispensable blog, hélas quelque peu négligé ces derniers temps, a posté en janvier dernier un entretien délicieux avec Nicolas Bouvier dans la même collection, j'ai pu découvrir ce petit film en noir et suisse.
L'acteur Bruno Ganz a refusé le rôle d'Oskar Schindler et préféré se tanner dans celui d'Hitler (la Chute).
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