— Je ne dis pas que c'est pas intéressant...
— Mais que ça l'était davantage avant... C'est comme tout...
— J'ai l'impression que tu te contentes de citer les textes des autres...
— Ce ne sont pas des citations, je te l'ai déjà expliqué : ce sont des notes, que je mets là car je ne sais plus écrire avec un stylo.
— D'accord, mais tes textes sont toujours les mêmes : Bukowski, Cioran, Valet... Tes auteurs fétiches, on les connaît.
— Que veux-tu, je retourne régulièrement aux valeurs sûres, comme on dit. Et personne ne t'oblige à me lire...
— Oui, mais il y a d'autres poètes, que tu ne cites jamais, comme Rimbaud, Mallarmé, Villon...
— Ecoute bien, et note-le : je fais ce que je veux et je t'emmerde !
— Pas la peine de s'énerver et d'être vulgaire...
— ...Je ne m'énerve pas, je cite. « Je fais ce que je veux et je t'emmerde ! », c'est du Victor Hugo ! Dans Mon cœur mis à nu, je crois, de mémoire, mais c'est facile à vérifier... Quant à la vulgarité, écoute-moi bien, je suis comme Bukowski justement, je ne l'exhibe jamais, j'attends qu'elle se manifeste d'elle-même...
— Malin...
— On en reprend une ?
— Tu ne parles jamais plus de l'actu...
— T'as qu'à regarder BFM ou CNews, c'est très bien foutu, les mêmes infos tournent en boucle toute la journée, tu ne peux rien rater.
— Je disais ça comme ça...
— Je n'ai guère envie de commenter l'actu, comme tu dis, ou simplement de la signaler.
— Moi aussi, je ressens une grosse fatigue, une sorte de dépression, une terrible impuissance face à tout ce qui se passe...
— Rien à voir. Je ne suis ni fatigué ni déprimé et je ne me suis jamais senti puissant. En fait, quel besoin d'ajouter des mots à ce capharnaüm schizophrène permanent ? Tu aimerais lire ou entendre que je suis indigné devant la police et ce gouvernement mafieux qui regardent tranquillement des néonazis défiler dans les rues de nos villes ? Devant les simulacres de justice autour des affaires de nos braves politiciens ? Devant la mainmise des oligarques de la finance sur les médias ? Que je me prononce à propos du gazage de Gaza ? Ou de la future capitulation de l'Ukraine et des milliards engloutis ou détournés par le clown en kaki et sa bande ? Tu veux que je te parle du cynisme des dirigeants occidentaux face à la corruption, le dérèglement climatique, la société de surveillance complète qui s'est, avec notre consentement, mise en place, ce monde invivable, les lois liberticides et celles qui détruisent tous les jours un peu plus ce qui restait du tissu social, comme on dit ? Tu veux que je te parle de l'inflation, de Napoléon, d'Elon Musk et de Jupiter ? Sérieusement, tu voudrais que je donne sur tout ça, et le reste, mon avis d'ivrogne ?
— On ne se voit plus...
— Allons bon...
— Avant...
— ...Avant, c'était pas mieux.
— Peut-être, mais je vais te dire une chose : ça me manque, tu me manques...
— Tu en tiens une bonne, toi...
— T'as remarqué qu'on regrette toujours le temps d'avant, même si c'était pas mieux ?
— Non. On regrette simplement de ne plus être à cette époque, on est effrayé de se voir vieillir, on est terrifié par la mort...
— C'est vrai... Ça passe tellement vite, quand tu y penses. Et on file sans laisser de trace...
— Laisser une trace ? Quelle prétention...
— Tu as raison... Putain, je crois que ça ne va pas très bien...
— C'est ce côtes du Rhône. Vraiment pas fameux...
— Non, c'est autre chose...
— Je vois. Tu te sens seul, tu es perdu. Tu as besoin d'un peu de chaleur humaine, comme un vulgaire Pignon... Mais je ne m'appelle pas Milan, mon vieux, désolé.
— Ouais, en fait, t'es pas le genre à consoler... Tu en as marre de le faire, du moins...
— Exact. La vie est trop courte.
— Je crois que je vais, de ce pas, laisser une trace dans les toilettes...
— Quand il est question de vulgarité, on sait où te trouver... Fais gaffe à la marche !