Harry Gruyaert |
Chateauneuf de Grasse, le 5-9-73
Mon cher Yves
J'ai bien reçu ta lettre et t'en remercie. Je tiens à te dire que la réception d'un chèque qu'il soit de cinq cents ou de cinq mille francs demande toujours une réponse, même s'il n'y s'ajoute aucun commentaire. Pour ma part, je reçois des acomptes sur locations, même quand je ne reçois que cent francs, je réponds le jour même, quelquefois le lendemain. Ma banque ne m'envoie pas de relevé journalier et jusqu'à la fin du mois je ne peux pas savoir si le chèque était parvenu.
Tu parles de la pension, ce n'est pas la première fois que tu me fous ça dans les pattes. Je te dirais que moi aussi, je me suis bien ennuyé en pension, d'une seule traite à partir de huit ans jusqu'à la fin et à cette époque nous n'avions pas autant de vacances que vous, mais du fait que je n'apprenais rien à l'école, c'est la raison pour laquelle mes parents se sont saignés à quatre veines pour me donner un peu d'instruction. Et puis, tu n'as pas été le seul dans ce cas, Etienne s'en est farci bien plus que toi, Jean en a fait pas mal aussi, de même que Michel, personne ne m'a jamais reproché d'avoir voulu faire apprendre mes enfants.
De notre temps, on ne gagnait pas de l'argent comme aujourd'hui et puis, tu dois le savoir, à la ferme, il y avait toujours une dizaine de personnes à nourrir et le travail ne manquait pas.
Si nous avons économisé sou par sou pour vous élever et pouvoir encore vous laisser quelque chose après notre mort, dites-vous bien que nous avons été élevés à une époque qui n'a rien à voir avec maintenant. Dire que nous avons toujours été parfaits Maman et moi ne le prétendons pas et si tu nous trouves indignes d'être tes parents, adresse-toi donc désormais à tes beaux-parents et quand il te manquera un demi ou un million, tu t'adresseras à eux.
Il n'y aurait pas eu de colère si tu étais venu nous voir, j'ai seulement été tourmenté parce que tu ne m'avais pas répondu quand je t'ai envoyé ce chèque. D'autre part, il faut mieux que tu restes avec ta femme pour ne pas avoir la soupe à la grimace.
Je t'embrasse bien fort ainsi que Patrice.
Ton père Alfred.
PS : Je reconnais volontiers que toi qui as une grosse tête, on aurait dû te pousser, tu aurais pu faire un docteur, un avocat ou un pdg, je n'y ai pas pensé.
Lettre trouvée telle quelle dans un livre sur Napoléon, abandonné pas loin de la maison et que la chérie a ramassé pour l'offrir à son père…
Pour le coup, un trésor !
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