Bryan Liston |
– Non, je pensais qu'il s'agissait d'un texte autour de l'info, les médias, nos oligarques à nous… Et c'est bien plus que ça.– C'est-à-dire ?– Nous sommes en plein dedans…
– Dans quoi ?
– Dans la mouscaille. Tiens, écoute. C'est l'un des personnages principaux qui parle. C'est lui qui détient Rex…– Rex ?– Le titan des médias. Un Niel ou un Bolloré fictif, si tu veux, mais plus vrai que nature.– Je ne veux rien. A part un peu de lecture.
Rex ne comprenait pas ce que je lui disais. Il me regardait avec cette manière qu'ont les otages – tous : des yeux vides, qui n'ont plus de haine plus d'amour, sitôt qu'ils ont capté. Des yeux qui scrollent, qui se perdent dans les vôtres, sur les vitres, sur les murs, au plafond ou sur le sol, n'importe où. Des yeux d'angle mort.Au Donbass, j'avais appris ça : filtrer le regard de la proie, condition pour ne rien éprouver et tenir la baraque. Le Donbass, guerre de tranchée d'aujourd'hui, Chemin des Dames d'un centenaire piteux, quelque part entre l'Ukraine et la Russie, et dont la presse se contrefoutait. Une indifférence généralisée qui faisait de la région un terrain idéal pour des gens dans mon genre.
– C'est bien écrit, comme d'habitude, mais je ne suis pas sûre de bien saisir.
– C'est normal et peu importe. Plus loin :
Rex News, c'était ça : le commando à la pointe du combat, en première ligne. Dans la guerre des télés d'info, il y avait du Dombass dans cette chaîne : ses journalistes se battaient comme des mercenaires. Tels des chiens fous russes croisés sur le front de l'Est, gavés de Captagon et de dollars, ivres de leur surpuissance de dopage et de provisoire. Les uns comme les autres fniraient mal : soldats du journalisme ou de l'impérialisme, quand, doublés par plus cinglés qu'eux, ils comprendraient ce à quoi ils avaient participé – ce serait trop tard.Au moins, au Donbass, les gars mettaient leur corps en jeu ; mon épaule droite en gardait trace, une balle perdue ; quant à Paris, les plus périlleux n'avaient que des SMS à esquiver.
– Ça donne envie, mais j'ai peur de ne rien comprendre à ces histoires de guerre, les Russes, le Donbass…– Tu crois que ceux qui en parlent toute la journée y comprennent quelque chose ?– Je sais ce que tu vas dire : ils ne sont que les porte-flingues de l'OTAN, organisation elle-même devenue le bras armé du capitalisme néolibéral…– Comme tu y vas… Ecoute ça plutôt…– …Encore ?! Tu vas tout me spolier…– Spolier ? Tu peux arrêter de parler comme on parle ?– Quoi ?– Ecoute :
Au Dombass, j'avais vu tout ce qu'une guerre civile peut offrir, et les Netflix du bas monde sublimer : les pillages, les viols, les bains de sang – entre cousins, entre voisins, entre frangins. J'avais assisté a contrario à des élans indépassables : des inconnus qui se soignaient, des ennemis qui s'entraidaient, des âmes qui partageaient leur quignon de pain. D'une certaine manière, face aux horreurs, on pouvait dire qu'on faisait de l'humanitaire. Seules nos méthodes différaient de celles de Médecins du monde.
– C'est qui ce on, ce nous ?– Tu le découvriras, j'ai bientôt fini de le lire…– Cette guerre, nous y assistons désormais en direct, à la TV, sur les écrans de nos téléphones…– Oui, aucune série ne peut imaginer un tel scénario, autant de rebondissements, de menaces de fin du monde…
– Et ce n'est que la première saison !
– Je ne sais pas s'il y en aura une deuxième…
– J'ai entendu dire que ça s'installait…
– Non, comme dirait l'autre, ça s'incruste. Ça s'immisce.
– En parlant de séries, c'est tout de même inouï, le parcourt de ce type-là, le président ukrainien. De la série, qui repasse sur Arte en ce moment d'ailleurs, où il joue un prof qui devient un peu sans le vouloir président de l'Ukraine à sa réelle accession au pouvoir…
– Avec la bénédiction des Américains, experts en lois des séries…
– Il adore se filmer, diffuser ses vidéos sur les réseaux…
– C'est ce côté influencer qui lui a permis d'être choisi. C'est un bon acteur, un peu cabot, mais sympathique.
– Nous aussi, nous avons notre bel acteur en jogging de l'armée à l'Elysée, pas rasé…
– Mais la risée du monde entier…
– Ah oui ?
– Oui. L'imitateur ne sera jamais qu'une copie, un ersatz de sauveur, une fake news ambulante… Et sa cour de faux philosophes et autres va-t-en-guerre, journalistes carriéristes et serviles, gangsters et magouilleurs en tout genre, nuisibles conseillers de l'ombre, quel cirque écœurant et morbide ! Dire qu'une partie de nos concitoyens veulent en reprendre pour cinq ans…
– Pourquoi me racontes-tu tout ça cinq minutes avant d'éteindre la lampe de chevet ? Je vais encore avoir une insomnie…
– C'est leur projet, nous rendre complètement dingues…
– Tu ne veux pas qu'on regarde un truc ?
– Quel truc ?
– Je ne sais pas. Tu n'as pas rapporté un DVD de la médiathèque ?
– Tu as vu l'heure ?
– Si tu ne m'avais pas lu tous ces passages du livre de David Dufresne, nous aurions eu le temps de voir au moins le début du film…
– Ecoute, si cette nuit, Wladimir appuie sur le bouton rouge, tu mourras moins bête…
– Salaud !
– Tu vas où ?
– Me faire une tisane Nuit calme…
– Par la fenêtre ?
NB : David Dufresne sera ce soir à Ménilmontant, et participe demain au Meeting du Collectif Stop Bolloré, Salle Olympe de Gouge, 15 rue Merlin, 75011 Paris, à partir de 16h00. On y passera.
19h59 ,il fait déjà bien sombre et il n'est pas encore minuit.
RépondreSupprimerEt l'attaque nucléaire ne vient pas (encore) de l'Est mais bien de chez nous via le Sahara...
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