Milton Rogovin |
Qui suis-je pour me plaindre de mon sort ?
Cette terre n'a-t-elle pas humilié d'autres rêves
plus élevés que les miens ? Ces étendues de sable
n'ont-elles pas absorbé les larmes
de bien plus nobles exilés ?
Et nous avons oublié jusqu'à leur nom.
Nous serons oubliés nous aussi
et le sens de nos vers
sera mille fois modifié. Où, quand
et dans quelle langue reconnaîtra-t-on finalement
ce que nous avons dit...
Mais gare à celui dont les mots
ne resteront pas clairs avec les changements,
à celui dont la vie et dont l'œuvre
ne pourront être racontées un jour
avec la fraîcheur des récits
que relatent les marins.
Ecris donc, oublie ton destin
de malheur. Et bois. En cette nuit claire,
trinque aux étoiles, bois
à la mémoire très noble
de ceux qui, déjà avant toi, ont emprunté
cet amer chemin. Trinque pour eux
et pour le monde qu'ils ont sauvé de la destruction.
Contemple alors dans le vin l'heure tardive
où naissent rêve et déception.
Accepte ton destin comme le prix
à payer aux mots. Ecris.
José María Álvarez, "La Edad de oro",
Poésie espagnole, Anthologie 1945-1990,
trad. Claude de Frayssinet, Points
Magnifique et très pertinent. Santé !
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