dimanche 29 mars 2020

Cons grossièrement démasqués


- Difficile à dire… Ça pixélise beaucoup. J'ai l'impression que tu vis dans un squat… Rapproche-toi encore un peu de la caméra…
- Là ?
- Oui. 
- Alors ?
- Tu as l'air d'aller un peu mieux…
- J'ai deux jours de décalage avec Agnès.
- C'est elle qui est en avance, je suppose…
- Oui, elle n'a plus de température depuis hier, la mienne commence tout juste à baisser.
- A-t-elle retrouvé le goût et l'odorat ?
- Oh, non, pas du tout. L'anosmie et l'agueusie, ça peut durer deux-trois mois…
- La quoi ?
- L'anosmie, c'est la perte de l'odorat, l'agueusie, la perte du goût. L'avantage de vivre avec une infirmière, c'est qu'en temps de crise, j'enrichis mon vocabulaire…
- Deux-trois mois ? Ce qui veut dire…
- …que tu peux lâcher une caisse tranquille…
- …Je ne pensais pas à ça !
- …Même pas besoin d'ouvrir la fenêtre…
- Ce que je voulais dire, c'est que le virus attaque le système…
- Je ne t'entends plus…
- Tu veux dire que tu perds également l'ouïe ? 
- …
- Je n'ai plus d'image…
- Tu m'entends ?
- Oui, j'ai le son, c'est l'image que j'avais perdue, ça y est, c'est revenu…
- Tu disais quoi ?
- Le virus attaque le système nerveux ?
- Non, ça, c'est le confinement ! Le virus s'en prend au réseau neuronal…
- Ok. Pour les infections pulmonaires, il faut un appareil d'assistance respiratoire, mais pour le goût et l'odorat, il faut quoi ?
- De la patience.
- Et des prières pour que ça ne laisse pas des séquelles…
- C'est un peu ça. Mais même Agnès n'a pas trop d'infos à ce sujet.
- Elle est arrêtée jusqu'à quand ?
- Jeudi.
- Ça fera déjà 15 jours ?
- 14.
- J'ai lu quelque part que selon les Chinois, la bonne période de confinement était de 20 jours.
- Dans son malheur, elle a eu de la chance. Aujourd'hui, ils sont tellement débordés, quel que soit le service, qu'ils n'accordent plus qu'une semaine d'arrêt…
- Mais ils testent tout de même le personnel ?
- Si symptômes il y a, seulement. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont protégés.
- Comment ça ?
- Lorsqu'Agnès a ressenti les premiers symptômes, elle était certaine que c'était ça. A force de travailler sans masques, sans surblouse et toutes les autres protections, elle et ses collègues savent tous que tôt ou tard, ils vont y passer. Je t'ai montré les photos où on les voit vêtus de sacs poubelle, tu te souviens ? Bref, on lui a fait le test et dit de rentrer à la maison. Si demain midi, tu n'as pas de nouvelles, c'est que c'est négatif, et tu reprends lundi. Samedi midi, rien. Aucune nouvelle dans l'après-midi non plus, ni dans la soirée. Bonne nouvelle ! On a pensé que c'était peut-être la fatigue ou qu'on somatisait. Dimanche, nous n'étions pas bien, ni l'un ni l'autre, mais Agnès a fait le marché et moi je suis allé à Monoprix faire d'autres courses. Dans l'après-midi, son chef de service appelle et lui dit qu'elle est arrêtée 12 autres jours.
- Putain ! Heureusement qu'elle travaille à l'hosto !
- Oui, de vrais connards ! Et effectivement, jeudi, elle sera encore contagieuse. Mais c'est tellement l'hécatombe…
- Chez les soignants ?
- Oui. Partout. Et on n'a encore rien vu.
- Ils n'ont pas encore réquisitionné les cliniques privées ?
- Tu penses ! On ne va pas mélanger les serviettes et les torchons, faut garder propres les établisssements de luxe, le virus n'épargnant pas leurs clients. 
- La gestion de cette crise a été désastreuse…
- Ils ne pouvaient pas faire autrement.
- Tu crois vraiment ?
- Il n'y avait pas de masques, pas de tests…
- Ils pouvaient au moins ne pas aligner tous ces mensonges, arrêter de nous prendre uniquement pour des cons…
- Sur ce terrain, je te rejoins. Mais ça fait des années qu'Agnès me raconte le manque de moyens, de personnel, de matériel, de protections… Tu as pu le constater toi-même lorsque ta mère a été hospitalisée…
- Oui, et j'ai vu également, il n'y a pas si longtemps, comment ce gouvernement a fait tabasser et gazer les infirmières lorsqu'elles ont osé descendre dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de travail…
- Elles ont reçu très peu de soutiens…
- Contrairement à aujourd'hui. Tous les jours à 20h, le peuple de France se donne bonne conscience.
- C'est vrai que d'un côté, ça leur fait plaisir, cette mobilisation. Mais, moi, ça me fait gerber. Ceux qui ont lancé ce mouvement sur les réseaux sociaux, ce sont pour la plupart les mêmes qui ont voté pour ce pantin à l'Elysée, qui s'est également employé à Bercy, il ne faut pas l'oublier, ce type sans scrupules qui, aujourd'hui, n'hésite pas à relayer les images de solidarité des Français au balcon sur les comptes du gouvernement et demain demandera des efforts à son bon peuple chéri…
- Tous ces gangs qui se sont succédé à la tête de l'Etat ont œuvré joyeusement, et avec l'assentiment de l'ensemble des Français, pour le démantèlement du service public.
- Espérons que ça fera évoluer les consciences…
- …Oui, et que rien ne sera plus comme avant ? J'ai du mal à y croire… Quand tu vois la rapide déconstruction de ce qui restait du droit du travail, ou les moyens mis à la disposition de la répression… J'ai l'impression que ce n'est que le début de la fin.
- Possible. En tous cas, ce n'est que le premier des confinements que nous allons connaître.
- Tu parles des années qui viennent ?
- Je ne parle que de ce virus et de l'année à venir. Si l'on ne dépiste pas en masse, le confinement ne servira à rien. Dès que la courbe redescendra, on laissera sortir les gens, on les renverra au travail…
- Quoi qu'il en coûte !
- Exact. Et on repartira pour un tour – de confinement…
- Jusqu'à la mise au point du vaccin ?
- Oui. Mais, je te dis : la solution immédiate, ce sont les tests. Regarde l'Allemagne, avec une population bien plus importante qu'ici, elle ne compte que 200 morts, je crois. Et c'est parce qu'elle procède, comme le demande l'OMS depuis février, à des tests en masse, plus de 500 000 tests par semaine en Allemagne où ne sont confinés que les gens malades. Un pays qui offre deux fois plus de lits en réanimation que la France !
- Oui, je sais. Pareil en Corée, ou à Taiwan…
- Ici, notre fringant ministre de la Santé vient de se réveiller et de commander enfin des tests qui arriveront courant avril…
- S'il est aussi efficace que pour les masques, ça promet…
- Quelle escroquerie…
- On lit partout, sur les réseaux, On n'oubliera pas, mais on oubliera, comme toujours, trop heureux de reprendre une vie normale, retourner au travail sera plus que jamais une chance, aller au resto, faire du shopping, partir en vacances…
- La vie normale ne reviendra pas, tu verras. C'est peut-être ça qui nous sauvera. 
- Est-ce bien nécessaire ?
- …
- En attendant, santé !





3 commentaires:

  1. Salut Carlos,
    J’ai entendu au JT que PSA voulait remettre ses ouvriers au boulot. Ni les gars ni les syndicats sont enthousiasmés par l’idée. Pour les convaincre, PSA leur promet 2 masques par jour. Donc PSA a des masques pour faire du pognon et les infirmières n’en ont pas et risquent leur vie. Où sont les masques ? chez PSA
    Confine bien,
    Luc

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    1. Hola Luc ! Hier, mon beau-frère, informaticien dans une grande boîte, nous a appris qu'il reprenait le travail aujourd'hui. Chaque jour, il aura un nouveau masque FFP2. On le lésine pas avec les cadres ! Hier soir aussi, une autre amie infirmière nous racontait qu'elle avait soigné, entre deux hôpitaux et ses propres patients, 53 personnes dans la journée, dont deux sont mortes dans ses bras. Elle ne disposait que d'un seul masque, et aucune autre protection. Aucune vérification de son état, ne serait-ce qu'une prise de température, lorsqu'elle arrivait dans un service… Applaudissons ! Bon confinement à toi aussi, amigo.

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  2. Je confirme. Croisé un ami charpentier qui, en passant, voulait me refiler FFP2 que son patron leur fournit allégrement. Lui, il s'en fout, comme la plupart de ses collègues, il se fout en maladie. Comme quoi on trouve des masques par ci par là.
    Salud !

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