|
Gabriel Ritter von Max |
Plus loin, Janouch se souvient de cette scène.
Quelques jours plus tard, il avait été convenu que j'attendrais le Dr. Kafka à cinq heures de l'après-midi devant le magasin de ses parents. Nous devions faire une promenade au Hradchin. Mais Kafka n'allait pas bien. Il avait de la peine à respirer. Aussi, nous nous contentâmes de flâner sur la place de la Vieille-Ville vers l'église Saint-Nicolas, dans la rue des Carpes et en contournant l'Hôtel de Ville, sur la Petite Place. Nous nous arrêtâmes devant la vitrine de la librairie Calve.
Je penchais la tête tantôt à gauche, tantôt à droite, pour lire les titres au dos des livres. Le Dr. Kafka eut un sourire amusé :
« Vous êtes fou de livres vous aussi : la lecture vous fait tourner la tête !
– Oui, c'est bien vrai. Je crois que sans livres, je n'existerais pas. Ils sont le monde, pour moi. »
Le Dr. Kafka fronça les sourcils :
« C'est une erreur. Le livre ne saurait remplacer le monde. C'est impossible. Dans la vie, chaque chose a un sens qui lui est propre et qui ne saurait être accomplie intégralement par une autre chose. Impossible, par exemple, de charger un remplaçant de mener à bien les expériences de votre vie. Il en va de même pour le monde et le livre. On essaie d'enfermer le monde dans les livres, comme des oiseaux chanteurs dans des cages. Mais on n'y parvient pas. Au contraire ! L'homme, à coup d'abstractions livresques, ne construit rien d'autre qu'un système en forme de cage, où il s'enferme lui-même. Les philosophes ne sont que des Papagenos aux costumes bigarrés, chacun dans sa cage. »
Gustav Janouch, Conversations avec Franz Kafka,
Trad. Bernard Lortholary,
ed. Maurice Nadeau
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire