En ces jours de confinement et de cons finis, d'obscures manigances, de menaces d'un autre temps (passé ou à venir, bien entendu), de réalité qui repasse la fiction pour nous faire avaler toutes les couleuvres guerrières, de parodie parfaitement réussie de l'enfer sur terre, je fais, comme d'autres sans aucun doute, du désordre dans les livres qui traînent dans la chambre, certains depuis des mois, priant pour les plus fous d'entre eux d'être enfin considérés à leur juste valeur, quand d'autres, certainement résignés à jamais, savent pertinemment qu'aucune raison valable ne peut expliquer leur présence dans cette pièce et dans ce qui reste de ma vie. Le premier qui me fait les pages douces, que j'avais acquis je ne sais plus quand et que je n'osais jusqu'ici aborder de peur de replonger dans les affres et errances de ma jeunesse, est pourtant on ne peut plus bienvenu. Dès les premières pages de Conversations avec Franz Kafka de Gustav Janouch, je retrouve ce qui m'avait séduit chez l'auteur du Procès et des Lettres à Milena lorsque je le lisais dans le bus 63 en direction de la Cinémathèque, alors sise Palais de Chaillot.
En mai 1921, j'écrivis un sonnet que Ludwig Winder publia dans le supplément dominical de Bohemia.
Kafka me dit à cette occasion : « Vous décrivez le poète comme un être d'une stature prodigieuse, dont les pieds se trouvent sur la terre, tandis que sa tête disparaît dans les nuages. C'est tout naturellement une image tout à fait habituelle dans le cadre des représentations conventionnelles de la petite bourgeoisie. C'est une illusion, qui est issue de désirs cachés et qui n'a rien à voir avec la réalité. Le poète est en réalité toujours beaucoup plus petit et plus faible que la moyenne de la société. C'est pourquoi il éprouve la pesanteur de l'existence terrestre beaucoup plus intensément et fortement que les autres hommes. Chanter n'est, pour lui personnellement, qu'une façon de crier. L'art est pour l'artiste une souffrance, par laquelle il se libère pour une nouvelle souffrance. Il n'est pas un géant, mais un oiseau plus ou moins multicolore dans la cage de son existence… »
Gustav Janouch, Conversations avec Franz Kafka,
Trad. Bernard Lortholary,
ed. Maurice Nadeau
Joli. J'ai une pensée peinée pour tous ces éditeurs qui vont recevoir des tonnes de manuscrits du type "journal de confinement" lorsque tout ça sera un peu calmé.
RépondreSupprimerRemarquez, y'en a des biens : https://www.pikaramagazine.com/2020/03/diario-de-una-pandemia-primeros-dias/
Courage à tous, bonheur à ceux qui vont survivre (Misaak Manouchian)
J.
Merci, cher Julio, pour ces références. Je souhaite tout de même à l'un de ces éditeurs de tomber sur un nouveau Léon Werth. "Lorsque tout ça sera un peu calmé", oui, il faudra cependant ne pas oublier ce qu'on nous aura fait avaler, n'est-ce pas…
SupprimerOn n'oubliera rien du tout. Et on est même paranoïaque au point de voir la-dedans un certain esprit revanchard, voire de vengeance. J’exagère ? C'est pas moi qui ai parlé "d'esprit de jouissance", c'est notre triste roitelet et, avant lui Philippe Pétain en juin 1940. Il est des lapsus qui valent mille déclarations solennelles.
RépondreSupprimerQuant à un hypothétique Léon Werth, c'est tout le mal que je nous souhaite.
Faudra juste qu'il ait une belle entame (on dit "punchline" chez les post modernes ?) parce que les éditeurs matent juste les premiers paragraphes.
Allez, une époque idéale pour lire les romans russes.
Abrazos.
J.
Notre guide jupitérien n'est-il pas un spécialiste des déclarations solennelles, va-t-en-guerre et autoritaires sous forme de lapsus historiques ?
SupprimerDavduf vient de s'y mettre : http://www.davduf.net/carnet-d-un-confine-coronavirus-2020
SupprimerAïe ! J'ai colporté une fausse nouvelle. Ce n'est pas Jupiter-le-Petit qui a prononcé les mots ci-dessus mais un de ces conseillers.
RépondreSupprimerJuré, on s'excuse.
J.
Certes. Malgré tout : https://blogs.mediapart.fr/michel-pinault/blog/110119/macron-leffort-le-sens-des-mots
SupprimerJ'me disais aussi que j'étais pas le seul à trouver que cette phraséologie schlinguait.
RépondreSupprimer(on s'excuse auprès des honorables lecteurs, bien entendu)