Un ami n'hésite pas à évoquer l'hypothèse d'une conspiration à propos du coronavirus qui désormais nous parque tous chez nous. Enfin presque. Certains veinards, certainement plus nantis que d'autres, ont préféré quitter la ville pour aller répandre leurs miasmes à la campagne ou à la mer sur l'air connu que la misère ou la maladie est moins pénible au soleil ou au grand air. Je ne leur en veux pas. L'homme est complexe. Et dans leur situation, j'en aurais certainement fait autant.Je ne sais si les paranos, et autres complotistes, comme on aime les nommer, se trompent. Ce que j'ai vu, ce sont les files d'attente devant les supermarchés et le cours de l'action Carrefour s'envoler à plus de 11% en quelques heures alors que dévissait le CAC40 comme jamais, nous disait-on.Alexandre Bompard, en voilà un qui a du flair. Cet énarque, inspecteur des finances comme il se doit, passé par le ministère des Affaires sociales et du Travail où il est conseiller technique du chevalier blanc François Fillon, puis par le Canal + post-Messier où il devient directeur des sports, par Europe 1 qu'il dirige et où il fait venir ses amis de la TV, la direction de la Fnac où il met en place le rachat de Darty, et enfin, Carrefour où il se lance dans le greenwashing tellement glamour, sent donc le vent putride venir et achète le 9 mars dernier 20 000 actions de sa boîte à 14,93 euros l'unité puis 7 087 autres le 12 mars, au cours de 12,51 euros, selon les déclarations faites à l'Autorité des marchés financiers. Soit un montant global de 387 188 euros. Pourtant l'action Carrefour avait baissé de 26% depuis un an et de 40% en trois ans, le titre ayant perdu en cinq ans 58% de sa valeur et 63% en dix ans – allez comprendre quelque chose… En pleine crise sanitaire, comme on dit, l'action du groupe pourtant redécolle. Il est vrai que l'entreprise s'est débarrassé de certaines activités déficitaires dont sa filiale chinoise, a supprimé plus de 2 400 emplois en France et fermé des centaines de magasins, de quoi rassurer nos amis les marchés. La folle ruée des consommateurs confinés sur les rouleaux de papier-toilette en prévision des semaines à se faire chier vient donc récompenser le grand Alexandre, déjà fait Chevalier de l'ordre national du Mérite en 2017, et, ne l'oublions pas, marié à Charlotte Caubel, conseillère justice de notre Premier ministre.
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Une autre qui a eu du flair, c'est donc Agnès Buzyn. « Quand j’ai quitté le ministère, vient-elle d'avouer dans un entretien au quotidien vespéral des marchés dit Le Monde, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu ». Des aveux accordés après la branlée encaissée à ces élections qui n'auraient pas dû avoir lieu et où elle remplaçait au pied levé, faut-il le rappeler, un sacré branleur… « Je me demande ce que je vais faire de ma vie », soupire-t-elle, effondrée, lit-on, devant son interlocutrice, l'apitoyée Ariane Chemin. Puisque tout est perdu, puisqu'elle n'est plus rien, l'ex-ministre de la Santé, oui, celle qui certifiait que le virus s'arrêterait aux frontières de l'hexagone, que des millions de masques attendaient en réserve, que le système de Santé français était robuste, se lâche. Et ça ne sent pas bon. Elle n'oublie pas, au passage, de se donner le beau rôle : « Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j’ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein ». Comment expliquer, si tout cela est vrai, l'immobilisme au sommet de l'Etat ? Sans doute un problème de réseau ou de boîte mail encombrée. Une preuve d'incompétence (criminelle) ? De cynisme (tout autant criminel) ? Ou l'ultime tentative d'un pouvoir aux abois pour mater la population ? Celle d'un système destructeur et à bout de souffle prêt à tout pour garder ses prébendes ? Cette sale affaire nous rappelle bien entendu celle du sang contaminé alors que, n'écoutant que son courage, et sa soif de liberté, Buzyn affirme aujourd'hui, sans rire, que devant « la situation sanitaire et dans les hôpitaux », elle se retire de la vie politique avec cette conclusion implacable : « C’est ma part de liberté, de citoyenne et de médecin. » Merci Agnès, les citoyens reconnaissants ne t'oublieront pas. Si ça pouvait la consoler…
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Autre histoire de complotisme et de fake news, le déploiement de l'armée sur tout le territoire. Peu avant la déclaration de Jupiter ce lundi, la rumeur circulait sur les réseaux sociaux aussi lourdement qu'un convoi de chars d'assaut. L'intervention présidentielle, suivie des commentaires des grands médias à la botte, a bien entendu mis fin à ce délire paranoïaque, tout en certifiant que nous étions en guerre. Aussi, hier, apprenions-nous posément que le Service de santé des armées et l’armée de l’air allaient procéder à des évacuations aériennes de patients de la région Grand Est, saturée, vers des zones qui le sont moins. Notre guide suprême a beau déclarer, sans rire lui non plus, que la santé ne peut obéir aux lois du marché, la pandémie débarque à peine que déjà étouffent les hôpitaux. « On va faire une médecine de guerre », déclare d'ailleurs le chef des urgences de Colmar, laissant entendre que le tri des patients ne tarderait pas à se mettre en place.
Guerre toujours. Ce matin, il se confirme que les 7 000 soldats de l’opération Sentinelle seront mis à contribution pour épauler les policiers et gendarmes appelés à contrôler les restrictions de circulation. Le Journal officiel ce mercredi entérine le décret prévoyant une contravention forfaitaire de 135 euros en cas de déplacement non autorisé. Cette somme rondelette pourra être majorée à 375 euros, peut-on lire dans la presse aujourd'hui, sans trop de précisions.
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C'est dans ce contexte que Naomi Klein, auteur de La Stratégie du choc, rappelait la semaine dernière sa définition du capitalisme catastrophe, autrement dit la façon dont les industries privées émergent pour bénéficier directement des crises à grande échelle. « La spéculation sur les catastrophes et la guerre n’est pas un concept nouveau, mais elle s’est vraiment approfondie sous l’administration Bush après le 11 septembre, lorsque l’administration a déclaré ce type de crise sécuritaire sans fin, et l’a simultanément privatisée et externalisée — cela a inclus l’État de sécurité nationale et privatisé, ainsi que l’invasion et l’occupation (privatisée) de l’Irak et de l’Afghanistan. La Stratégie du choc consiste à utiliser les crises à grande échelle pour faire avancer des politiques qui approfondissent systématiquement les inégalités, enrichissent les élites et affaiblissent les autres. En temps de crise, les gens ont tendance à se concentrer sur les urgences quotidiennes pour survivre à cette crise, quelle qu’elle soit, et ont tendance à trop compter sur ceux qui sont au pouvoir. En temps de crise, nous détournons un peu les yeux, loin du jeu réel… »
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Et c'est également dans ce contexte que nous apprenons la disparition de notre Kirk Douglas à nous, l'inoubliable Suzy Delair, partie à 102 ans.
Merveilleuse séquence. On en oublierait presque qu'elle fut très peu résistante.
RépondreSupprimerAmitiés.
J.
Ah, la Continentale… Suzy Delair regrettait paraît-il de ne pas avoir serré la main de son fondateur… N'oublions pas, cher Julio, qu'un des dits chefs-d'œuvre du cinéma français, Le Corbeau, du même Clouzot, y fut réalisé. Saludos !
SupprimerLe corbeau est un film immortel car toujours d'actualité, y'a pas de doute. Je me souviens encore du choc reçu en le voyant la première fois au ciné-club ou ciné de minuit, me souviens plus.
RépondreSupprimerCeci dit, on vous conseille la lecture de l'excellent bouquin de Christine Leteux, "Continental Films : cinéma français sous contrôle allemand".
Greven est un type étonnant pour un mégalo nazi. Et si on a plus que de l'indulgence pour Clouzot, Tourneur, Danièle Darrieux ou Arletty, si on est étonné par la dignité de Pagnol et horrifié par le sort d'Harry Baur, certains s'en tirent beaucoup bien moins. On dira pas qui parce que la délation, même posthume...
Il est vrai que tout le monde n'est pas Gabin. Qu'on l'aime ou pas, chapeau pour l'attitude conséquente.
Salud y animo.
Cher Julio, je refuse toute suggestion de lecture par les temps qui courent ! Cela dit, vive Gabin – bien qu'il ait accepté de retravailler avec Renoir qu'il exécrait pour ses agissements durant l'Occupation, mais qu'il respectait pour son talent de réalisateur… L'être humain est complexe, Julio…
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