mercredi 6 décembre 2017

Rien de si effrayant


Le plus effrayant pour moi est d'écrire de la prose... Et dès l'instant où je m'en suis aperçu, où j'ai su, je me suis juré de ne plus écrire que de la prose. Parce que j'aurais pu faire tout autre chose. J'ai appris beaucoup d'autres disciplines, mais aucune qui soit si effrayante. Voilà, j'ai pris très tôt des cours de dessin, et je serais sans doute devenu un dessinateur passable, ça m'aurait été très facile. J'ai étudié la musique, et ça m'était très facile de jouer de plusieurs instruments, de faire de la musique, je veux dire de composer. Il y a eu une époque où je me suis dit : je veux absolument être chef d'orchestre. J'ai étudié l'esthétique musicale, et un instrument après l'autre, mais parce que cela m'était trop facile, j'ai tout abandonné. Ensuite, j'aurais pu être acteur, ou metteur en scène, ou dramaturge. Il y a eu un temps où cela m'emballait. C'était tout à fait passionnant, j'ai beaucoup joué, surtout des rôles comiques, j'ai fait de la mise en scène... J'ai fréquenté une école de commerce, et il y a eu de la même manière un temps où je me suis dit : oui, bon, je pourrais être commerçant aussi, et ça m'attirait beaucoup de me développer dans cette direction...
Et très jeune – jusque vers seize, dix-huit ans – je ne haïssais rien tant que les livres... Je vivais chez mon grand-père, il écrivait, et il y avait une énorme bibliothèque, et être toujours au milieu de ces livres, devoir traverser cette bibliothèque, tous les jours, rien que cela était terrifiant pour moi... Et probablement... pourquoi en suis-je venu à écrire, pourquoi est-ce que j'écris des livres ? Par opposition à moi-même soudain, et à cet état – parce que les résistances, je l'ai déjà dit, sont tout pour moi. Je voulais justement cette monstrueuse résistance, et c'est ainsi que j'écris de la prose...

Thomas Bernhard, Trois jours, trad. Claude Porcell

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