dimanche 24 décembre 2017

Pigalle la Zat



Si je n’y habitais pas, Pigalle me semblait tout indiqué pour m’y perdre, ce quartier avait toujours accueilli les marges de Paris, la Commune était née à Montmartre, et c’était là, sur la place même de Pigalle, alors barrière Montmartre, que les derniers communards étaient tombés – un bataillon de femmes, commandées par la magnifique ambulancière et combattante, Louise Michel.
C’était à peu près tout ce que je savais de Pigalle ; ça, et les clichés à la con. Pigalle, et ses bas résille que je n’avais encore jamais effleurés. Pigalle, et ses sourires, que je croyais coquins, qui me laissaient entendre que c’était mon tour, de venir, de monter, d’essayer, darling darling, comme disait la chanson.

Paris avait alors encore besoin de Pigalle. L’inverse n’était pas vrai, Pigalle la squatteuse était un village à l’écart, une zone d’autonomie temporaire, à condition de se plier à sa loi, hors de la loi, dure mais souvent moins injuste qu’ailleurs, une commune anarchiste (la bande à Bonnot y avait fait ses premiers coups), une République à part entière, que certains appelaient Voyoucratie, comme pour mieux fermer les yeux sur leurs pratiques politiques en hauts lieux. De toute façon, ceux-là ne faisaient que feindre d’ignorer la fin du politique. Cette fin était en route, magistralement incarnée par l’élection comme députée, en mars 1987, de la Cicciolina, actrice porno italienne ; un événement qui tenait à la fois du triomphe de Pigalle et de son avis de décès.
Pigalle la délivrance était notre petite survivance. L’été et à Noël, une fête foraine tentait d’arracher au boulevard de Clichy les derniers jours du Paris populaire. J’aimais la tireuse de cartes dans sa roulotte, imaginant ma mère, elle-même cartomancienne, finir comme ça. J’aimais l’odeur des crêpes épaisses, les stands de tir à la carabine, les auto-tamponneuses, les barbes à papa roses ou blanches parfum vanille, la baraque du « baromètre de l’amour », les jeux d’arcade ruineux, les revendeurs de montres en toc, les derniers freaks, la plus grosse femme du monde, la femme-serpent, les baraques à « danses » pour jeunes sans le sou ou immigrés fauchés, avec de pauvres femmes qui avaient vingt minutes pour se maquiller, se déshabiller, aguicher les gars agglutinés devant le camion pour un mini-strip gratuit, et finir par mal se trémousser derrière le rideau, ça coûtait 5 francs les cinq minutes.

Il n’y avait au fond qu’à choisir : soit on prenait Montmartre pour la montagne des Martyrs, selon les chrétiens ; soit on prenait Montmartre pour le mont Mercure ou le mont de Mars, le mont de la Guerre, comme ils disaient sous Clovis.
Au New Moon, du haut de l’escalier, l’option 2 nous allait fort bien. On se sentait guérilleros sans armes ni armées ; combattants par la fuite et le refus. Ce n’était pas Paris qu’on défendait, c’était la vue sur Paris qu’on aimait. On dominait la nuit, à défaut de la situation.





2 commentaires:

  1. Toujours un plaisir Bob le Flambeur et la première séquence est un bijou.
    Jules

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