Le plus sage
J'avoue qu'ici mon trouble est un peu celui de l'acteur qui, oubliant tout à coup son rôle, est obligé d'inventer des répliques ou de s'excuser tant bien que mal auprès des spectateurs. Ce que me demande Lucien Kra est au-dessus de mes forces, pour mille raisons dont la première est une pudeur qui m'empêche de parler de moi. Tout ce que je dirais serait d'ailleurs faux. Il y aurait bien ma date de naissance qui serait exacte. Encore faudrait-il que l'humeur du moment ne me poussât pas à me rajeunir ou à me vieillir. Qui saurait d'ailleurs résister au plaisir d'emplir sa biographie d'événements, de pensées basses, d'envie d'écrire à l'âge de huit ans, de jeunesse incomprise, d'études très brillantes ou très médiocres, de tentatives de suicide, d'actions d'éclat à la guerre, d'une blessure mortelle dont on a réchappé, d'une condamnation à mort dans un camp de prisonniers et de la grâce arrivant la veille de l'exécution. Le plus sage, je crois, est de ne pas commencer.
Cette notice intitulée « Carnet de l'auteur - Biographie », fut rédigée par Emmanuel Bove à la demande de son éditeur et publiée en pages 3 et 4 de son roman Un soir chez Blutel. Une version plus longue figurait dans l'excellente biographie de Raymond Cousse et Jean-Luc Bitton parue au Castor astral en 1998, Emmanuel Bove, La Vie comme une ombre.
On peut désormais trouver ce texte dans le recueil Le Remord, édité ces jours-ci dans la Petite bibliothèque Ombres, pertinemment signalé par l'ami Louis Watt-Owen, et qui comprend 9 nouvelles parues dans divers journaux et jamais éditées en recueil, ainsi que quelques portraits de Bove, des caricatures et des entretiens très courts mais drôlatiques avec l'auteur de Mes Amis. Et tout cela pour la modique somme de 9 euros.
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