vendredi 29 décembre 2017

La mort est un songe




- Cette nuit, je t'ai entendu pleurer.
- Vraiment ?
- Tu avais mal quelque part ?
- Au coeur.
- Ça t'élançait comme l'autre fois ?
- Pas vraiment.
- Alors quoi ?
- N'en parlons plus. 
- Mais enfin, j'ai besoin de savoir si tu es malade...
- C'était un cauchemar.
- La douleur ?
- Non, un rêve. Mais c'est oublié.
- Raconte.
- Tu ne vas pas aimer. 
- Dis toujours.
- Toujours.
- Imbécile !
- Imbécile !
- Arrête de faire le pitre. Raconte.
- Je vais être en retard.
- Je ne te laisserai pas partir avant que tu m'aies tout raconté.
- J'ai rêvé que tu étais malade.
- Quelle horreur !
- Tu vois ?
- Et alors ?
- C'est un peu flou. Je passais par le parc, là-haut. Je descendais d'un bus je crois. Et je croisais quelqu'un qui se mettait à me parler...
- ...C'était qui ?
- Je ne sais plus. Peu importe. Un inconnu certainement. Il avait engagé une conversation que je ne pouvais pas arrêter. Et soudain, je t'ai vue passer derrière lui, au loin, grimpant une colline du parc avec un petit four. 
- Je sortais d'un coquetèle ?
- Non, tu portais une sorte de micro-ondes ou de four portable – j'en avais un comme ça quand j'étais jeune... 
- Je n'ai jamais eu de micro-ondes...
- Moi non plus, mais peu importe ma chérie, c'est un rêve... Il y avait quelqu'un avec toi qui t'aidait à transporter d'autres objets, des meubles, très peu de choses...
- Dans le parc ?
- Oui, tu déménageais dans mon dos.
- Pas le tien, celui de ton interlocuteur.
- Exact. Et tu allais t'installer sous une tente. 
- Comme ces gens que l'on voit au bois de Vincennes ?
- Oui, une tente avec une cheminée. J'en ai vu une l'autre matin dans le bois...
- Le procès nous avait ruiné ? Nous avions dû vendre la maison ?
- Non, c'était la maladie. Tu ne voulais pas me l'imposer et tu fuyais, avant l'opération. Le chirurgien était là.
- Dans le parc ?
- Avec sa blouse blanche. Je crois que c'est lui qui t'aidait à transporter tes affaires.
- Mon chirurgien ?!
- Il expliquait que les analyses n'étaient pas bonnes, mais que ça ne changeait rien : il avait décidé de t'opérer bien avant ces résultats.
- C'était quelle maladie ? 
- Tu perdais du liquide...
- Du fric ?
- Non, une espèce de sang maronnasse. Et tu ne voulais pas que j'assiste à ça.
- Mais c'est horrible !
- Oui, c'est pour cela que tu me quittais... Et je me suis mis à pleurer comme un enfant en rentrant à la maison.
- On avait donc encore la maison ? Enfin une bonne nouvelle !
- Curieusement, il ne manquait aucun meuble. Et tout était marqué par ta présence.
- Absence...
- Je dis bien la présence. Tu étais là. Ou ton fantôme.
- C'est curieux ce rêve, car depuis hier j'ai le sentiment que je vais être malade.
- Il y a beaucoup de virus en ce moment.
- Non, quelque chose de grave.
- Arrêtons avec ce sujet.
- Hier, dans mes pérégrinations, je me suis retrouvée dans la rue Quincampoix. Et je suis passée devant un lieu consacré au cancer.
- Comment ça ?
- Un espace entièrement dédié à la maladie. Terrifiant. Et en face, il y avait un bar. 
- Enfin une bonne nouvelle !
- Tu sais comment s'appelait ce bar ? L'Imprévu !
- C'est une scène de film.
- De quel film ?
- Telle que tu la décris, ça me fait penser à Cléo de 5 à 7... Un film en noir et blanc. Un Bergman des années 50.
- C'était un peu surréaliste, j'y ai vu un signe. La maladie comme imprévu.
- Tu vois ? Nous n'aurions jamais dû avoir cette conversation.
- Tu as beaucoup pleuré...
- Ça t'a inquiétée ?
- Ce qui m'inquiète, c'est que tu rêves que je te quitte. 
- Peut-être, mais j'étais très malheureux.
- Tu sais bien que ça n'arrivera pas.
- L'imprévu ?
- Que je te quitte. Je t'ai toujours dit que je rêvais de mourir dans tes bras.
- Ne recommence pas avec ça, moi, je n'en ai aucune envie. 
- Si je tombe malade, c'est toi qui me quittes, alors ?
- C'est très égoïste.
- Je trouve, oui...
- Quoi donc ?
- C'est très égoïste de ne pas vouloir que je meure dans tes bras.
- C'est de le vouloir qui l'est. Toi, tu partirais tranquille et moi, je resterais avec un cadavre sur les bras... 
- Mais tu es un homme ! Il vaut mieux que ce soit ça plutôt que le contraire !
- Mieux vaut que je sois un homme qu'une femme ?
- Que ce ne soit pas toi qui meures dans mes bras ! 
- Ça n'arrivera pas, chérie, souviens-toi, je suis immortel... La mort est un songe.

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