mardi 8 août 2017

Terre à terre


Val Telberg via semiotic apocalypse

Dans les années soixante, Bukowski considérait Harold Norse comme le meilleur poète du moment. Dans la correspondance déjà signalée ici, et à paraître mi-septembre dans la traduction que l'on sait, on pourra lire quelques lettres adressées à l'auteur de Mémoires d'un ange bâtard, 50 ans de vie littéraire et érotique (seul ouvrage traduit chez nous à ma connaissance et dont l'édition est semble-t-il épuisée), dont celle-ci datée du 12 mai 1964.

[…] Oui, tu as raison : c'est un atout d'être terre à terre et j'entends par là l'incapacité à prendre de la hauteur tandis que tu t'actives sur une femme, un poème ou sur une statue d'Himmler en cire. C'est mieux de rester souple, travailler de façon simple et sauvage et se planter comme tu l'entends. Si tu franchis 5 mètres au saut à la perche ils voudront que tu franchisses 6 mètres et tu pourrais bien finir par te casser la jambe à force d'essayer. L'opinion publique doit toujours être prise comme quelque chose d'aussi insensé qu'une rivière pleine de vomi. Une fois que tu as jeté l'opinion publique dans la corbeille à papier qu'elle ne devrait jamais quitter tu as des chances d'obtenir un bon dix et peut-être des avis partagés. Je ne parle pas de la culture du Snobisme que pratiquent les richards, les fakirs, les tresseurs de cordes, les électriciens et les rédacteurs sportifs parce qu'ils s'imaginent avoir du POUVOIR. Ils sont aussi dépendants de l'opinion publique que les feuilles accrochées à un arbre. Moi je te parle de la dépendance qui te laisse une liberté d'agir car tu n'as pas besoin d'un bisou sur la joue de la vieille dame d'à côté, tu n'as pas besoin d'un tapis rouge ou d'effectuer une lecture devant la Société des écrivains arméniens de Pasadena. Je veux dire, on s'en branle. Plus de pages, plus de bière, plus de chance, un bon transit, un bout de fesse à l'occasion et du beau temps, que demander de plus ? Le loyer, bien sûr. Maintenant, je ne sais plus de quoi je parlais. C'est le danger de parler. Tu parles tu parles tu t'emballes et très vite tu ne sais plus ce que tu racontes. Je… Voilà pourquoi je me sens mieux quand je peux la boucler.

Charles Bukowski, Sur l'écriture, Au Diable Vauvert

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