vendredi 29 juillet 2016

Pas même une dernière fois

Stanley Kubrick via killerbeesting

Jacques, comme tu peux l’imaginer, et même, j’espère, le constater, je ne peux plus attendre, espérer, croire : attendre que les choses s’améliorent, espérer que tu changes, croire encore en nous. J'aurais dû partir il y a longtemps. Tous ces mots banaux ne pourront jamais exprimer mon désarroi, tant d’années gâchées à tes côtés, les désillusions plus grandes les unes que les autres, ton manque d’ouverture, ta jalousie, ta bêtise, l’ennui et le silence insupportables qui se sont imposés au fil du temps. On ne va pas reparler de tout ce qu'on sait. Ces lignes ne vont certainement pas te plaire mais j’espère qu’un jour, tu les comprendras et te remettras en question sans avoir recours à la violence comme souvent chez toi. Ne cherche pas à me contacter, j’ai fermé mes comptes facebook et twitter, et changé d’adresse mail. Dès que je me serai posée, je pense voyager, m’éclater, me ballader, baiser, tout ce que tu ne m’as pas permis de faire au cours de ce qu’a été notre histoire. J’espère que de ton côté tu en feras de même. Soixante ans, ce n’est pas trop tard aujourd’hui pour commencer une nouvelle vie. Et il est possible que tu trouves une femme qui t’acceptes tel que tu es avec tes complexes de petite bite, ta mauvaise humeur (et odeur) constante, ton ignorance, tes potes, tes parties de chasse, tes programmes télé à la con, ta bagnole de merde et tes fantasmes à deux balles. Beaucoup de femmes ne se montrent pas difficiles à l’heure de mettre un homme dans leur lit, surtout à partir d’un certain âge. Moi, pour parler franchement, il y a un moment que tu ne m'excite plus. Je ne t'aime plus et je crois bien que, vue la façon que tu m'as traitée, toi, tu ne m'as jamais aimé. Je regrette pas, mais je me demande comment j'ai fait. Ne bois pas trop, je ne serai plus là pour être impressionnée et te supplier d’arrêter – et tout nettoyer le lendemain, pauvre con ! Oui, j'ai trouvé enfin le courage, rien ne m'arrêtera et tu ne m’impressionnes plus !
Adieu
(Je ne t’embrasse pas, pas même une dernière fois, comme à chaque fois)

Françoise
PS : Pour des raisons pratiques, je ne change pas de numéro de portable pour le moment mais je ne répondrai pas à tes appels et suis prête désormais à déposer plainte si tu continues à me faire chier.


lettre trouvée ce jour dans un vieux polar emprunté à la médiathèque,
livrée sans passage par la case corrections

Entre-deux


Le vieux monde n'est plus, le nouveau tarde à apparaître et, dans cet "entre-deux", tous les monstres émergent.

Antonio Gramsci, Cahiers de prison

jeudi 28 juillet 2016

Une nuit sans femme

Anders Petersen via undr

La salle de derrière l'avant-dernière
elle se tient seule rose séchée 
entre les pages d'un livre paumé
je plisse les yeux au-dessus 
de mon livre volé vois le vide
de ses mains la mort sous la peau
elle ne boit rien
elle est juste là sale raide comme le sort
le regard avalé les larmes habituées
je l'avais aperçue une fois
ici même
sans être comme là dévasté effrayé
par tant de peine elle parle seule
je ne sais plus ce que je lis
les mots se mêlent
je tombe sur le papier rien
elle fouille son sac se lève
un peu d'air d'une cigarette fumée sur le trottoir
me frôle en revenant dans la salle de derrière
vide de son corps sans vie laisse
l'odeur du tabac sur moi un peu de son désarroi
elle parle encore
seule comme avant les yeux bleus lavés
les doigts toujours pris par la cigarette ignorée
la dignité ce qui lui reste de beauté
le dos au mur raide comme la trique
un enfant paraît tatoué les yeux flingués
quitte sa chaise cachée se penche sur elle
la laisse sans se retourner
le fourgue j'ai pensé
elle le regarde s'éloigner demande ce que je fous
l'envie de la prendre dans les bras
ne pas la laisser là
son sac ses mots sans écho sa gueule sans joues
ses joues sans larmes 
une nuit sans femme
ils sont revenus ce soir
la femme seule et le gamin
se tiennent devant la porte du bar
défoncée elle sourit il s'approche
lui colle une galoche devant l'autre type qui se marre
occupé à rouler le joint qu'ils fumeront
au coin comme tout le monde
je me lève la salle de derrière
l'avant-dernière vide de son corps sans vie
demande la même chose et ferme mon livre

mercredi 27 juillet 2016

Vie de poète 2




Un bonheur profond
Un bonheur profond
m'a saisi
Mes amis chrétiens disent
que j'ai reçu
le Saint-Esprit
C'est simplement la vérité de la solitude
C'est simplement l'anémone arrachée
attachée au rocher
les racines exposées
au vent du large
O ami de ma vie griffonnée
ton coeur est comme le mien
ta solitude
te ramènera chez toi







vendredi 22 juillet 2016

Tu vois ce convoi ?

Il y a déjà quelques étés, j'attendais une amie devant un café lorsque deux voitures sont entrées en collision à quelques mètres de là. Aussitôt, un incendie se déclencha, semant la panique dans la rue. Sauf chez quelques esprits lucides qui s'emparèrent de leur portable et commencèrent à filmer et photographier la scène. On en était là, me dis-je bêtement en m'apercevant que j'ignorais le numéro des secours. Du café, fort heureusement, un habitué avait saisi le téléphone fixe et appelé les pompiers. Pas plus qu'aujourd'hui, je ne possédais pas à l'époque un appareil pouvant filmer et ne peux vous offrir ici les belles images de ce triste jour.
Mais, un ami qui sait combien j'aime nos fantastiques machines et le culte du narcissisme qu'elles consacrent m'envoie cette petite vidéo brésilienne d'un sacré con. 
Comme on le sait, les J.O. de Rio, c'est pour bientôt. La traditionnelle et stupide promenade de la flamme olympique se déroule dans tout le pays. Jeudi, elle traversait Sao Paolo. Lorsqu'un accident s'est, semble-t-il, produit : un flic en moto en renversant deux autres. J'ignore s'il s'agit d'un acte prémédité, si l'individu était en lien avec la cellule dormante d'amateurs (terme officiel) démantelée la veille au terme de l'opération nommée hashtag... 
Ce que l'on sait et voit, c'est que le type en vert, comme nombre de ses contemporains désormais, agit seul, n'a pas besoin de préparation, c'est naturel, ça fait partie des options proposées par la machine. Et pour cela, rien de plus simple : un cerveau atrophié, la recherche rapide du bon cadrage, un sourire de crétin, déformé par le grand angle de l'objectif de l'appareil, et un index en état de fonctionnement. A la portée de tout un chacun.

jeudi 21 juillet 2016

Nuit

Fred Stein via Pop9 et Kvetchlandia


Le cafard apparaît comme une angoisse dévalorisée. En fait, il est plus virulent que l'angoisse ; mais il ne se donne pas les grands airs de celle-ci. Il est plus modeste, mais aussi plus terrible, car il peut surgir à tout moment, alors que l'angoisse, plus prétentieuse, ne se manifeste que dans les grandes occasions.
Cioran, Cahier de Talamanca 

samedi 16 juillet 2016

Artifices


L'humanité n'a trouvé à ce jour sa raison d'être que dans le meurtre. Elle ne s'accomplira que dans sa propre destruction.
Raymond Cousse

jeudi 14 juillet 2016

C'est leur fête…


Aujourd'hui, comme chaque année, notre belle démocratie fête ses grands hommes et femmes en leur accrochant — à même la peau, espère-t-on – un beau ruban comme sur les paquets-cadeau dignes de ce nom. Seront écorchés aujourd'hui notre Buster Keaton à nous, Pierre Richard et le moine bouddhiste et cathodique, Matthieu Ricard, sans oublier l'excellente môme à oscar, Marion Cotillard. Oui, que des noms en hard. Egalement au menu des réjouissances, les immenses photographes Raymond Depardon et Sebastiao Salgado, l'ex producteur, distributeur, exploitant et gauchiste apparatchik Marin Karmitz, l’ancien PDG de TF1-Bouygues, Nonce Paolini, le croulant éditocrate multicartes Alain Duhamel et son compère Jacques Julliard, l'ancienne secrétaire générale de ce formidable syndicat qu'est la CFDT, Nicole Notat, l'inénarrable conseiller sécurité de Sarkozy puis de Manuel Valls, Alain Bauer, les comédiens Niels Arestrup et Ariane Ascaride. Cinoche toujours, le délégué général du Festival international du film de Cannes, Thierry Frémaux, et l'irremplaçable cinéaste Xavier Beauvois (Des Hommes et des Dieux), sans oublier le grand-père de Julie Gayet… Au total, plus de 650 gogos collabos, dont des imbéciles revendiquant leur sensibilité de gôche, accepteront fièrement cette distinction et donneront l'accolade à cette république finissante qui envoie sa police dégommer sans vergogne sa jeunesse, met en cage les manifestants, défait ce qui restait du tissu social et se fout de la dévastation de l'environnement, fait exploser le code du travail et offre nombre de privilèges fiscaux à l'oligarchie et aux entreprises du CAC40, collabore à un génocide migratoire en mer et sur terre, nous pisse dessus en affirmant qu'il pleut, prépare le terrain pour l'élection d'une dirigeante d'extrême droite, j'en passe et pas des meilleures… Une belle garden-party en perspective en ce 14 juillet qui, nous dit-on, mobilisera quelques 11 500 policiers et gendarmes… 



mardi 12 juillet 2016

Un air qui m'obsède jour et nuit




Je t'en prie chante-moi ce vieil air français
l'automne, l'enfance, l'éternité
ma coupe est pleine de nostalgie
la ville s'endormait et j'en oublie le nom
le temps ça pourrit tout
et tes larmes ne pourront rien changer
Rappelle-toi le temps de nos quinze ans
nous devions nous cacher pour nous aimer
dans le désordre de ton cul
tu m'en auras fait faire des conneries
en ce temps-là, la vie était plus belle
et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui
Il me fait le coup du souviens-toi
le froid tout gris qui nous appelle
j’ai des faims de toi difficiles
je t'aime et je crains de m'égarer
fais ce que tu dois faire sans moi
j´irai réveiller le bonheur dans ses draps
là-haut un oiseau passe comme une dédicace
le bonheur me pisse à la face
Paris, sous la pluie me lasse et m'ennuie
il n'y en a plus pour très longtemps
pour qu'éclatent de joie
chaque heure et chaque jour
l'amour tu ne sais pas ce que c'est tu me l'as dit
pour peu que le bonheur survienne il est rare qu'on se souvienne
Je ferai plus le con, j´apprendrai ma leçon
le plus clair de mon temps dans ma chambre noire
je cherche en vain la porte exacte
devant une phrase inutile qui briserait l'instant fragile
ils reprennent le dernier whisky, ils prennent le dernier tango
et vous suez, pris dans un atroce entonnoir
Je suis un homme libre
loin du réconfort
aujourd'hui encore je vous entends partout
t'as l'air d'une chanson qu'on chante à la maison
sur mes doigts la nuit je compte mes pieds
jusqu'au matin du monde
combien de fois dire ton nom
je sais depuis déjà que l'on meurt de hasard en allongeant les pas
un jour on chantera cet air pour bercer un chagrin





vendredi 8 juillet 2016

Misérables et malheureux


Par tempérament, je suis un vagabond et un clochard. Je ne désire pas assez l'argent pour travailler afin d'en avoir. A mon sens, c'est dommage qu'il y ait autant de travail dans le monde. Une des choses les plus tristes, c'est que la seule chose qu'un homme puisse faire huit heures par jour, jour après jour, c'est travailler. On ne peut pas manger huit heures par jour ni boire huit heures par jour, ni faire l'amour huit heures par jour - tout ce que vous pouvez faire pendant huit heures, c'est travailler. Ce qui est la raison pour laquelle l'homme se rend et rend tout le monde misérable et malheureux.

William Faulkner, Paris Review. Les entretiens, tome II,
ed. Christian Bourgois

Nostalgie souterraine



14 août. Tout à l'heure, en montant le chemin pour rentrer, j'ai entendu une rengaine espagnole, telle qu'on en entend tous les jours à la radio d'ici, et la nostalgie qui s'en dégageait, ou que j'en extrayais, m'a presque amené au bord des larmes. En Espagne, la nostalgie est chez elle, toute la vie y est souterrainement traversée par un courant de regrets et d'appels déchirants, de lamentations chantantes, de pleurs mélodieux. Il n'y a guère qu'en Hongrie que l'on puisse en Europe rencontrer tant de nostalgie quotidienne. 

Cioran, Cahier de Talamanca

 


jeudi 7 juillet 2016

A suivre...

La loi Travaille ! (et ferme ta gueule) est donc passée comme une lettre d'insultes à la poste. On sait ce qu'elle va produire, même dans sa version light. Une grande braderie des êtres humains comme nous l'avons vu dans les pays européens ayant adopté ce même genre de disposition.  Le monde qui vient, cher à Bill Gates et à ses amis, maîtres à penser de nos dirigeants et des aspirants à diriger, sera un monde sans emploi. Le philanthrope créateur de microsoft s'échine à nous le répéter depuis des années. Emploi et pensée, seront d'ailleurs les deux grands absents de notre futur proche. Car s'il est très vraissemblable que le salariat disparaisse rapidement, que de nouveaux métiers – ou occupations – voient le jour, via le numérique, cela ne concernera pas tout le monde – on estime qu'on devra se passer de 80% des travailleurs actuels – et aucune réflexion sur une nouvelle distribution des richesses ou simplement des dividendes de la production n'est à l'œuvre dans les hautes sphères du pouvoir économique et politique. Ne rêvez pas, il ne reste plus grand-chose, nous disent les actionnaires...
C'est peut-être ce qui mut les nombreux manifestants des nombreuses mobilisations qui fleurirent dans le pays ces trois derniers mois. Et n'en déplaise aux médias dominants, tout ne fut pas violence et paralysie, et le combat n'est peut-être pas fini
En attendant la rentrée, que l'on espère mouvementée, retour en images sur quelques murs souillés – non sans humour – de nos villes.

















Images volées chez Graffitivre et Yves Pagès

mardi 5 juillet 2016

Qui parle ?

C'est entendu, nous sommes toujours plus submergés d'infos, un événement chassant l'autre, et tout se traite à la même échelle, avec les mêmes méthodes, la même rapidité, les mêmes approximations et raccourcis, le même goût pour le spectacle et le storytelling. Au-delà de cette grande confusion pour nos petites têtes chaque jour un peu plus conditionnées, il est bon de rappeler qui possède quoi. C'est le travail que se sont proposé de faire Marie Beyer et Jérémie Fabre et que publie le site du Monde diplomatique. Vertigineux. 
La vraie vie est ailleurs...

clique sur l'image cher inconsolable pour y voir plus clair

lundi 4 juillet 2016

La clef du bonheur


Manilo Reina


Si nous pouvions ressentir une volupté secrète toutes les fois qu'on fait aucun cas de nous, nous aurions la clef du bonheur.
Cioran, Cahier de Talamanca