dimanche 10 juillet 2016

Mobiles apparents




- C'est presque un petit bonheur quotidien, reprendre le scooter.
- Presque ?
- Il reste les autres. Ceux qui ne respectent pas les priorités, grillent les feux, ne prêtent pas attention, s'en foutent, déboîtent sans clignotant, sans même un regard dans le rétro… Le pire, ce sont ceux qui conduisent un œil sur la route, l'autre sur leur portable.
- C'est une obsession chez toi…
- Je les repère maintenant. Une voiture qui devant toi avance lentement, zigzague légèrement, tu peux être sûre – ça ne loupe jamais je t'assure – que le type ou la femme est en train de lire un message ou de raconter sa vie à une copine… Ou de faire un selfie !
- En conduisant ? Tu exagères !
- Pas du tout ! C'est un fléau sans précédent… Les gens sont de plus en plus crétins. On est foutus ! Au moins, sur le scooter, contrairement au métro, je n'entends pas les conneries balancées sur les portables à longueur de journée…
- C'est toi qui m'avait laissé le journal ouvert à la page de cet article sur les téléphones, l'autre matin ? 
- Qui veux-tu que ce soit ? Le chien ?
- C'est terrible, cette enquête. Il n'y a plus aucune ambiguïté sur le fait que les portables sont hautement cancérigènes…
- Une étude menée sur dix ans, si je m'en souviens bien. Eh oui, on a le choix en terme de tumeurs produites par nos téléphones : gliome ou neurinome de l'acoustique, glandes salivaires, cerveau, nerf auditif…
-  Tumeur des cellules de Schwann – j'ai cherché ce que c'était…
- Moi aussi. En tous cas, on est mal barré, parce que l'info ne sera pas rendue publique de sitôt.
- Cet article s'en charge pourtant.
- Tu as vu de quel journal il s'agit ? Un truc pour initiés, distribué dans les magasins bio… On prêche des convaincus qu'on traitera de bobos illuminés voulant retourner à l'âge de pierre.
- Ça finira par se savoir.
- Ça se sait. C'est là. Disponible pour qui veut sérieusement s'informer. Mais c'est noyé sous le marketing spectaculaire du nouvel iPhone, de la dernière tablette bidule dont on ne peut se passer… Les enjeux économiques sont trop importants…
- Ça va faire des cons en moins, remarque.
- Pas que. L'exposition à toutes ces ondes, personne n'y échappe. Regarde dans le métro, ils sont tous sur leurs machines. Ça ne va pas bien, ils ont peur de s'emmerder, ne peuvent supporter d'être coupés de leurs réseaux, leurs messages, leurs alertes, leurs jeux, et ne prêtent aucune attention à ceux qui les entourent. Depuis des années, je fais un geste grotesque quand j'entre dans le métro : mettre en mode avion mon téléphone, alors que je me prends dans la gueule toutes les fréquences qui m'entourent grâce à tous ces imbéciles. Au travail, pareil. Ici aussi…
- Moi, j'aime bien le métro, quand même. Je pourrais pas faire comme toi, tous les jours, le même trajet, aller et retour.
- Des fois, je m'endors. Souvent dans les lignes droites, je perds ma concentration. Je me réveille en sursaut, juste avant l'accident.
- Au moins, dans le métro, tu peux somnoler sans risque.
- Le risque est ailleurs. Et puis, tous ces chanteurs, tous avec les mêmes rengaines.
- L'autre jour, j'ai donné une pièce à un type un peu illuminé. Un petit black. Il disait des choses très justes sur notre monde, c'était assez poétique. Tu as déjà dû le croiser...
- Ça me dit vaguement quelque chose, oui.
- Ma fille n'en revenait pas, moi qui me plains toujours de ne pas avoir de fric, qui lui pique souvent de la monnaie dans sa tirelire. Je lui ai dit qu'il fallait encourager la poésie. Et le lendemain, j'ai également donné quelque chose à de jeunes rappeurs. Ma fille m'a dit Mais maman, c'est du rap, pas de la poésie ! J'ai répondu qu'il fallait encourager la création. Je ne sais pas ce qui m'a pris, deux fois de suite. D'habitude, je ne donne jamais rien, sinon tu n'en finis pas. Si, y'a une seule fille à qui je donne toujours quelque chose, elle l'air comme ça, tu vois, complètement défoncée…
- Et dans ce cas, tu dis à ta fille qu'il faut encourager la prise de drogues ?
- Idiot ! Non, c'est parce qu'elle chante toujours la même chanson de Brel, qu'elle massacre, Quand on a que l'amour, elle la fait traîner en longueur, sa voix déraille sans cesse, mais bon, quelqu'un qui chante Brel, ça me fait fondre.
- J'arrive.
- Où tu vas ? Il est trop tôt pour se lever…
- Je vais chercher mon recueil de chansons de Brel histoire de te faire fondre. Et tu seras même pas obligée de me filer une pièce !



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