dimanche 2 août 2015

Tout près du paradis



J'avais évoqué ce petit village de pêcheurs de la côte basque espagnole que m'avait fait découvrir Maria au début de notre histoire, mais je ne savais pas si j'étais capable de le retrouver dans mon état. J'étais passablement torché, avec une gosse qui se doutait que les choses ne tournaient pas rond et réclamait de parler à sa mère mais je laissais filer la bagnole sur l'autoroute sans aucun plan précis, en pilote automatique, ayant renoncé que de mon esprit en forme de compote en décomposition jaillisse un jour quelque lumière. On s'est retrouvés sur une aire de repos flanquée d'une station-service et sa boutique. Gagner du temps, reprendre mes esprits, je pense que l'idée n'allait pas aussi loin. J'avais juste besoin d'un petit remontant qui m'aiderait à demeurer dans le flou, à fuir la raison. Je devais aussi pisser toutes les bières que je m'étais enquillées. On connaît le refrain : tu bois une bière, t'en pisses trois. En revenant, je me suis constitué une nouvelle petite réserve, au cas où. On ne savait pas ce qui nous attendait. J'ai pris des chips pour Audrey, de toute sorte, des ondulées, des goût ketchup, des paprika, des poulet grillé, et je ne sais plus quelle autre saloperie. La gamine était ravie. Et, ça n'a pas manqué, Maria a rappelé. J'avais les bras encombrés mais j'avais décidé de répondre cette fois-ci. J'ai tout posé par terre et écouté sa douce voix me balancer les pires insultes en espagnol. C'est fou ce que ce peuple est vulgaire ! Il aime chier sur tout : Dieu, la mère qui t'a mis au monde, qui plus est si c'est une pute, le lait qu'on t'a donné à ta naissance… J'en ai appris des tournures imagées et chantantes en trois ans de vie commune avec Maria. Je lui ai demandé de se calmer, on était en public. Elle m'a fait remarquer fort justement que j'étais le seul à l'être, car, présentement, elle se trouvait chez elle, seule, les flics étant partis à ma recherche. J'ai ri et lui ai dit d'arrêter ses conneries, on n'était pas dans un film, on pouvait régler nos histoires sans l'aide des gardiens de la loi, entre adultes… Elle ne m'a pas laissé terminer ma phrase, soulignant l'abus de langage dont j'avais fait preuve en me qualifiant d'adulte. Si tu veux, Maria. Mais calme-toi ou je raccroche. C'est ce que je lui ai dit, en substance, et peut-être avec des mots plus grossiers. Elle m'a demandé où on était, où on allait, comment allait la petite, ça n'en finissait plus les questions, comme une répétition de ce qui m'attendait quand les flics m'auraient mis la main dessus. Des torrents de sueur coulaient dans mon dos et j'ai insisté : elle devait impérativement retirer sa plainte, c'était un malentendu, je n'avais pas voulu lui faire du mal, et encore moins à la gosse. J'avais juste fait la connerie de voler quelques heures à cette enfant parce que sa mère m'interdisait de la voir, je n'étais pas méchant, j'étais peut-être lamentable comme elle le pensait, mais je les aimais toutes les deux, j'étais trop plein de cet amour, je n'arrivais pas à le noyer complètement, j'avais perdu un peu la tête, c'était tout. Je voulais qu'on se retrouve, tous les trois, dans ce petit village de pêcheurs, comment s'appelait-il déjà ? Maria ne promettait rien, mais je savais qu'elle viendrait. Elle ne me voulait pas de mal, elle non plus, mais elle me pardonnerait difficilement je le sentais, elle avait besoin de parler à sa fille, s'assurer que tout allait bien… J'ai alors réalisé que la môme n'était plus dans les parages. J'ai promis à Maria de la rappeler et raccroché.
Putain, il ne manquait plus que ça ! J'ai gaffé la superette et filé sur le parking. Désert. Je regardais passer les caisses au loin priant pour que ma petite Audrey ne se trouve dans aucune d'elles. Une voiture est arrivée tandis que je m'apprêtais à contrôler la mienne, il m'arrivait souvent de la laisser ouverte et la môme avait pu aller s'y réfugier. Vide. Maria a rappelé, mais je n'ai pas décroché. De la bagnole qui venait de se garer est descendue une petite famille parfaite, comme dans une pub : des parents souriants et propres sur eux, et des gamins, un garçon et une fille, blonds et pas grincheux, nullement vannés par le voyage en voiture, par la faim qui les taraudait depuis des kilomètres, heureux d'être là, tous ensemble à cette heure avancée de la nuit, un cauchemar vivant !
J'ai fait un saut jusqu'à la bretelle reliant l'autoroute. J'ai inspecté les buissons alentour. Regardé autour de moi, j'étais comme fou. Le téléphone, encore ! Je l'ai balancé au loin, pourriture ! Quand est-ce que tout cela prendrait fin ? Je n'en pouvais plus. Je suis revenu dans la boutique. Toujours pas de trace d'Audrey. Je me suis mis à chialer en me dirigeant vers le caissier, fait demi-tour honteux. C'était moi qui aurais dû disparaître. A jamais. Il me fallait un trago, comme disait Maria lorsque l'heure de s'y mettre approchait. Et là, soudain, au détour d'un rayon surgit un ours ! Je faillis lui mettre mon poing dans la gueule tant le choc fut grand lorsque je réalisais qu'il s'agissait d'un masque et que derrière ce réalisme à couper le souffle se trouvait Audrey. Je sais que je me suis encore une fois énervé. Je l'ai secouée, insultée, menacée…
Tu ne disparais pas comme ça ! Elle a hurlé, chialé, elle n'avait fait qu'aller aux toilettes, elle aussi !  J'avais vraiment eu peur de la perdre, qu'elle ait été enlevée, écrasée sur la route, que les emmerdes grossissent jusqu'à m'exploser dans la tronche. Le caissier nous fixait, on n'était pas passés inaperçus. J'ai serré Audrey dans mes bras, lui ai promis de trouver un hôtel dans le coin pour y passer la nuit en attendant maman. Nous n'étions pas loin du paradis.


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