dimanche 9 août 2015

La dernière image du bonheur



Je l'ai emmenée sur la plage. Elle n'avait pas besoin de moi, à vrai dire, elle marchait loin devant, ne pouvant contenir son enthousiasme. Je l'ai juste accompagnée. Le temps de la voir se déshabiller, jeter ses vêtements sur le sable, exhiber crânement son nouveau maillot de bain et aller fendre les vagues, les boxant avec la force et l'insouciance de son âge, la colère rentrée longtemps retenue. Je me suis lentement éloigné vers les dunes, là où, il y a trois ans, quatre ans, une nuit, Maria et moi avions fait l'amour. Une décharge jouxtait désormais l'endroit. Qu'attendais-je y trouver en dehors d'un ramassis de regrets, de culpabilité, de temps perdu et de puanteur ? Je crois que ce genre de questions ne me traversait pas l'esprit. J'évitais de penser. Je faisais tout pour ça. J'ouvrai une première cannette et calai ma tête contre ma veste pliée en deux. Je fermai les yeux et le parfum de Maria, de nos corps suffocants vint cingler mes songes. J'enfilais une nouvelle cannette pour chasser un peu plus ces mauvaises sensations.
C'est le sable projeté par un coup de pied sur mon visage encore tuméfié qui me tira avec douleur de ma torpeur. 
- Où elle est ?!
J'ouvrai un œil et reconnus les jambes fines de Maria. Où étions-nous ?
- Où est ma fille ?!
Je vérifiai immédiatement qu'elle était venue seule. Et lui indiquai la place dans l'eau où se tenait Audrey. Elle n'était plus là. Putain, combien de temps avais-je dormi ? Pas de panique, je repérai la silhouette de la môme un peu plus loin. Le courant l'avait certainement fait dériver. Maria l'aperçut également et se calma. 
- Tu es venue seule, mon amour ?
- Je suis venue pour elle !
- Il faut qu'on parle.
Mais déjà, elle s'éloignait de moi, à la rencontre de la petite. Je me levai pour la rejoindre. Maria appelait sa fille qui sortit de l'eau et courut vers nous. Nous revoilà, tous les trois.
- On a été heureux ici.
J'ai passé ma main sur l'épaule de Maria qui m'a aussitôt repoussé.

- On s'est bien amusé, Audrey et moi.
- Fous-moi la paix.

- Je comprends ta colère, mais…

- Tais-toi. Pas devant elle, je t'en prie.

- Maria, écoute-moi. J'ai réservé une table dans ce petit resto que tu aimais tant, on va y déjeuner et on pourra discuter calmement.
- Je n'ai rien à discuter. Qu'est-ce que tu as dans la tête ? Véte a la mierda !
Maria s'était jetée dans les bras de sa mère, toutes deux pleuraient comme si elles avaient pensé ne jamais plus se revoir, comme si elles rêvaient de ne plus jamais m'entendre.
- Tu viens dans l'eau, maman ?
Audrey prit la main de sa mère et nous entraîna vers l'eau. Audrey s'est alors tournée vers moi.
- Pas toi ! T'as pas compris ?
Je me laissai tomber par terre pour les voir approcher de l'eau. Audrey montrait ses oreilles à Maria, puis son maillot de bain. Maria se tourna vers moi. De là où j'étais, derrière les larmes, je crus apercevoir un sourire. 
Audrey insistait pour que Maria se baigne avec elle. Maria a quitté sa robe. Son corps était celui que j'avais aimé, que j'avais frappé, qui me manquait, qu'il me fallait oublier. Jamais. Jamais. Jamais. Autant disparaître. Maria entra dans la mer en sous-vêtements, était-ce le froid de l'eau, elle prit sa fille dans ses bras, comme si c'était elle qui souffrait, pour la protéger. C'est la dernière image que je garde d'elles. Je n'étais plus là quand Maria s'est tournée une dernière fois vers la plage à ma recherche.


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