Le bonheur date de la plus haute Antiquité. Il est quand même tout neuf car il a peu servi.
mardi 30 septembre 2014
Vieux truc
La foule
La foule préfère toujours
le déni quand la violence fait irruption dans sa vie quotidienne sauf si la
violence devient totale comme dans un attentat. Là, la foule ne peut plus
faire autrement. Mais une agression dans un transport en commun, une rixe
dans un coin de rue la nuit, la foule ne voit pas. Des mécanismes de
défense qui se mettent en place d’autant plus facilement que cette foule
moderne dispose en moyenne de trois cents chaînes de télévision et que la
réalité n’est jamais que la trois cent unième. Et pas la plus passionnante. Aussi
triste qu’un documentaire est-allemand sur l’industrie lourde, en fait.
lundi 29 septembre 2014
Une femme
Certes, elle est un peu moins connue que celle qui a fêté ses 80 balais hier. Elle n'a pas chanté avec Gainsbourg, fait fantasmer des milliers d'hommes, n'a pas fait marcher Godard sur les mains. Elle s'est contentée de faire quatre enfants et des ménages dans des maisons bourgeoises pour survivre dans un pays dont elle ne connaissait pas la langue en arrivant. Aujourd'hui, elle a trois ans de moins que BB, ne fait pas de politique, n'a toujours pas le droit de vote après avoir passé plus de temps ici que dans son pays natal, et prie pour que son opération du genou le mois prochain se passe bien afin de retrouver le plaisir de marcher.
dimanche 28 septembre 2014
Victor
Je ne me prends pas pour Victor Hugo. Mes livres, c’est juste un petit combat pour des choses auxquelles je crois et pour les gens que j’aime.Maurice Pons
Communiqué officiel
- Madame la ministre, il nous faut faire un communiqué sur la mort de Jean-Jacques Pauvert.- Qui ?- …- Je ne connais pas encore le dossier.- C'est un éditeur.- Un éditeur ? Vous venez me déranger un samedi soir pour un éditeur ?- C'est-à-dire que…- …Vous croyez sincèrement que ça intéresse les Français ? Plus personne ne lit.- Pauvert est incontournable dans l'Histoire de la littérature.- Je suis sûre que si je fais le tour de mes invités ce soir, personne ne le connaît.- Ça a été le plus jeune éditeur de France.- Ah bon… Qu'a-t-il publié de si important ? Quelque chose que j'aurais lu ? Un Prix Goncourt ?- Je ne pense pas, il faut que je vérifie pour le Goncourt. C'est l'éditeur d'Histoire d'O et de Sade.- Sade, la chanteuse ?- Sade, le marquis.- C'était une plaisanterie, enfin !- Je vous prépare le texte ?- Je me demande quand même s'il est bien nécessaire de faire un communiqué sur l'éditeur d'un marquis à l'heure où les sondages sont au plus bas…- Madame la ministre, Pauvert est un éditeur légendaire, un mythe, un représentant de la culture française mondialement reconnu. Il a combattu la censure.- Ah, bon ? Pourquoi ?
- Pour pornographie.
- Vous voulez que je fasse un communiqué sur un pornographe ?!
- On ne parlera pas de cet aspect-là. Mais Sade est un classique de la littérature française…
- … Ok, préparez-moi le texte.- Tout de suite, Madame la ministre.- Un truc pas trop long, hein ? Faites-moi un truc autour de la censure, sans trop insister, insistez davantage sur la liberté de penser…- A la Florent Pagny ?- MDR. A la Fleur Pellerin ! Parlez aussi de la jeunesse, c'est important ça, la jeunesse, l'audace… Allez, faites vite, je n'ai pas que ça à faire, j'ai un dîner, moi !- Au lieu de "liberté de penser", on pourrait mettre la "libération des mœurs" ?- Vous croyez ? C'est pas trop polémique, ce terme ? Je n'ai pas envie de me retrouver avec une attaque des associations de famille…- Je ne pense pas que Frigide Barjot commente votre communiqué, Madame la ministre.- Il ne faut jurer de rien, souvenez-vous du scandale autour de Frédéric Mitterrand. Ou sur le livre de Valérie…- On parle de littérature ici. Personne n'osera polémiquer autour d'un mort.- Si vous voulez. Va pour la libération des mœurs. Et n'oubliez pas la jeunesse. C'est important, ça, la jeunesse.
jeudi 25 septembre 2014
Le prix à payer
Une banlieue industrielle, polluée et anonyme, développée
dans l’ombre de la grande ville voisine, Chicago. Tel est le décor de Price
(Summer Crossing), récit qui se déroule, comme son titre original l’indique, le
temps d’un été, au tout début des années 1960. Dramaturge reconnu,
oscarisé pour son premier scénario de cinéma, Stojan Tesich est né en 1942 dans
l’ex-Yougoslavie. Adolescent, il voit sa famille s’installer aux Etats-Unis
et plonge avec obstination dans sa langue d’adoption, se rêvant
romancier. Il succombera à une crise cardiaque en 1996, après avoir bouclé
Karoo, son deuxième roman.
Price est publié en 1982 aux Etats-Unis. Fruit d’une dizaine d’années de maturation, ce texte est contemporain du scénario que signe Tesich pour le film d’Arthur Penn, Georgia (Four friends). Le personnage principal de Georgia s’appelle Danilo Prozor. Enfant d’immigrés yougoslaves, il est entouré de deux amis inséparables et d’une jeune fille un peu fantasque, source de ses premiers émois et regrets. Dans le roman, petite variante, Danilo Prozor est devenu Daniel Price et seule sa mère est originaire des Balkans.
Price est publié en 1982 aux Etats-Unis. Fruit d’une dizaine d’années de maturation, ce texte est contemporain du scénario que signe Tesich pour le film d’Arthur Penn, Georgia (Four friends). Le personnage principal de Georgia s’appelle Danilo Prozor. Enfant d’immigrés yougoslaves, il est entouré de deux amis inséparables et d’une jeune fille un peu fantasque, source de ses premiers émois et regrets. Dans le roman, petite variante, Danilo Prozor est devenu Daniel Price et seule sa mère est originaire des Balkans.
A tout juste 18 ans, en une saison ardente, Daniel Price va
voir sa vie lui échapper. Tout commence par un combat de lutte. Si
Price l’emporte, il obtiendra une bourse pour entrer à l’université et tournera
ainsi le dos au destin réservé à tout enfant d’ouvriers : une place à
l’usine du coin ou aux espaces verts de la ville, un mariage précoce, une vie
monotone, pas choisie, calquée sur celle de ses parents. Etrangement,
alors qu’il est sur le point de l’emporter, Price renonce, provoquant sa
défaite et glissant dans une parenthèse de torpeur. Ce même soir, il fait
la rencontre de Rachel, une jeune femme étrange et fascinante. En
plongeant dans cette histoire d’amour bancale, avec l’obsession et l’arrogance
dictées par son âge, s’essayant à la poésie pour séduire Rachel, tout en
s’éloignant de ses deux fidèles acolytes et de leur devenir, Price
cherche à s’abstraire du réel, du drame qui se noue chez lui entre un père
malade et une mère infidèle. Quel garçon de 18 ans, découvrant à peine la
vie, peut entendre son père, désignant la tumeur qui le ronge, dresser cet amer
constat : « Il y a du sang vicié là-dedans. Des choses
mortes. Des rêves délavés et brisés. Nous en avons tous. Nos têtes en sont
pleines. La mienne en tout cas. Elle en est pleine. A une époque,
pourtant... c'était une cage à oiseaux, propre et nette, avec un rossignol à
l'intérieur... et il chantait d'une voix pure et fraîche... la chanson de ma
vie. » ? Et comment ne pas fermer les yeux devant une mère épuisée
par son travail de femme de ménage, de nuit, dans la grande ville voisine et ne
pouvant faire face aux frais d’hospitalisation de son mari ?
Karoo dressait un portrait impitoyable de l’industrie
cinématographique à travers le parcours chaotique d’un scénariste désabusé et
cynique. C’était l’œuvre d’un auteur ayant connu le succès et ses désillusions.
Et on pense à John Fante, cet autre (petit-)fils d'ouviers immigrés, qui
faillit égarer son talent à Hollywood. Forcément. Mais, au-delà de ce qui
ressemble à roman d’apprentissage, Price est le tombeau des rêves, la face
cachée d’une certaine mythologie américaine encore tenace pour tout immigré, la
certitude d’y trouver une vie meilleure que sur sa terre natale.
Steve Tesich, Price, éditions Monsieur Toussaint Louverture. Ce sont ces mêmes précieuses éditions qui avaient proposé la première traduction en français de Karoo en 2012.
samedi 20 septembre 2014
Fils de rien
1982, les plans sociaux se
multiplient dans l’industrie automobile française. Le tournant néolibéral
ne dit pas encore son nom mais entame sa marche inexorablement destructrice. Les
ouvriers déchantent, tombent par milliers. Le gouvernement de gauche envoie
les forces de l’ordre évacuer les grévistes des usines où se déroulent des
« ratonnades » contre les collègues étrangers, jugés plus dociles. Le
narrateur du roman de Stéphane Guibourgé a 16 ans lorsque son père est licencié
du site Talbot de Poissy. Ce « fils de rien », abandonné par son
frère, disparu du jour au lendemain sans un mot, subit la violence de l’homme
déchu, son silence. Il trouvera refuge auprès de gitans qui ont aménagé leur
camp sous un pont et qui l’initieront à la délinquance. Mais c’est au sein
d’une bande de skins, dite la Meute, qu’il acquiert une identité en devenant Falco. S’en
suivent les bastons au sein des kops des stades de foot, les viols de filles
arabes, juives ou lesbiennes, d’autres ratonnades, une sauvagerie quotidienne comme
un revers de la violence économique. Si Falco cherche ainsi à se prouver
qu’il est encore vivant, il sait qu’il n’existe d’autre issue à ces absurdes et
révoltants actes criminels qui ne passe par la case prison. Stéphane
Guibourgé construit son récit sec, sans pathos ni fascination, certainement
dérangeant, en conjuguant habilement les différents âges de son
narrateur. Après sa libération, Falco, hanté par son passé, devient à son
tour un père démissionnaire mais tente, en pleine montagne, de donner un toit à
son fils car, au fond, quarante ans plus tard, les conditions de vie réservées
aux enfants d’humiliés restent pour ainsi dire les mêmes.
Stéphane Guibourgé, Les fils de rien, les princes, les humiliés, éd. Fayard, 17 €
vendredi 19 septembre 2014
Je reste avec toi
On n'avait pas l'âge.
Mais Pascal possédait une machine à écrire. Les cartes d'identité
étaient cartonnées et pouvaient facilement être glissées sur le cylindre. Il avait du voir ça dans un film. Les dates
de naissance furent modifiées en quelques frappes. C'est en retirant la
dernière carte, la mienne je crois, que nous nous sommes rendus compte
que nous étions décidément nuls en maths : au lieu de nous vieillir, Pascal
nous avait rajeunis. Rectifier de nouveau les dates aurait fini par
perforer les cartes... C'est le cœur battant que nous nous sommes quand
même présentés à la caisse du cinéma. A notre soulagement, la caissière
nous a vendus les places sans nous demander notre âge. Sans vérifier nos
cartes d'identité ! A notre grand étonnement, se
joignait un sentiment de déprime : à 15 ans, nous faisions plus vieux
que notre âge ! Le film s'appelait Vivre vite, Deprisa deprisa
en VO. Carlos Saura l'avait réalisé et agrémenté de chansons rumbesques
du moment comme celle des Chunguitos, un groupe de frères gitans qui
connut son heure de gloire dans ces années-là. La vidéo ici est
gratinée. Mais je me contrefiche de leur piètre sens du playback ou de
leur présence mal assurée sur scène, c'est ma jeunesse que je retrouve,
malgré le souvenir de l'humiliation infligée par la caissière du Forum Orient Express, l'émotion de l'événement et celle ressentie devant ce film… Je l'ai montré l'an dernier à mes filles. Elles ont l'âge que j'avais à l'époque et j'espère qu'elles ne font pas plus. Elles l'ont beaucoup aimé. C'est vrai que ça tient le coup !
jeudi 18 septembre 2014
Journal
Plus je surfe sur le site de ce journal, plus me laisse indifférent sa disparition programmée…
mercredi 17 septembre 2014
Van
C'était la fin d'un certain enfermement, le début d'une douce folie, insouciante, cette mélodie et cette voix presque proche du yaourt, endormi un petit matin dans un train d'une banlieue de l'Est inconnue, des après-midis au lit, entrecoupés de balades sur le siège arrière d'une moto dans la campagne de l'Hesse jusqu'à Suez, des années astrales…
mardi 9 septembre 2014
Trou
Trouvé hier, sur le blog réjouissant d'Eric Chevillard, cette réflexion pleine de foi dans l'humanité, l'avenir de la culture :
Réjouissons-nous des
ventes formidables du livre de madame Trierweiler. Elles prouvent, non
seulement que nos compatriotes ont encore le goût de la lecture, mais qu’ils
sont capables de tout pour assouvir cette passion impérieuse, y compris lire
par le trou de la serrure.
lundi 8 septembre 2014
La plaisanterie
- De toute manière, je le savais.
- Tu savais quoi ?
- Il y a eu des signes.
- Cette manie de voir des signes partout… Des signes de quoi ?
- Des signes qui prouvent que nous sommes en train de vivre la fin de notre histoire.
- Lesquels ?
- Par exemple, l'autre jour quand tu as dit que tu fumerais bien un petit pétard…
- Tu plaisantes ?
- Ça ne te ressemble pas du tout.
- J'ai dit ça pour déconner !
- En sept ans, je ne t'ai jamais vu fumer.
- Bien sûr que si !
- Quand ?
- Une fois, à une fête chez Carole.
- Ah bon ? En tous cas, c'est le signe qu'il te manque quelque chose, que tu aspires à autre chose.
- A quoi ?
- Une autre histoire.
- C'était une blague !
- Non, deux jours plus tard, tu en as fumé un.
- Parce que ça s'est présenté à la fin du dîner, chez ton copain. Je n'avais rien demandé. Je ne sais même pas fumer. Tu as bien vu, dès que je l'ai pris, je suis resté avec le filtre dans la bouche.
- Il n'était pas bon, en plus. Je me suis sentie soûle en 5 minutes, avec un mal de crâne insupportable, ce n'était pas agréable.
- Donc, c'est ça, le signe qui ne trompe pas ?
- Oui.
- Quand tu raconteras à tes amis la raison de notre séparation, je pense qu'ils vont bien rigoler.
samedi 6 septembre 2014
Ecrire
Écrire n'a jamais été simple. Ce n'est pas pour toi, ai-je entendu dire ma mère lorsque j'évoquais mes velléités. Ce n'est pas pour nous, plus exactement. Comme si nous ne formions qu'une seule personne, qu'une seule envie, qu'un seul renoncement. Il n'y avait pas de livres chez moi et la culture, on ne savait pas ce que ça voulait dire. Mes parents savaient tout juste lire et écrire dans leur langue maternelle et devaient se faire tout petits dans le français d'adoption. Il fallait rester à sa place. Eux comme moi, puisqu'on ne faisait qu'un.
vendredi 5 septembre 2014
Dialogue au sommet
- Connard !- Tu m'as traité de connard ?- Parfaitement. Et je le maintiens !- T'es pas un homme !- Ah ouais ?- Tu insultes mais quand tu rentres chez toi, ta femme, elle te met un doigt dans le cul.- En quoi ça te dérange si j'aime ça ?- T'es pas un homme, c'est bien ce que je disais.- Tu sais que c'est ta fille qui me fait ça ? Et je te raconte pas ce que je lui fais, moi après !- Je pourrais t'éclater la tête !- C'est ça, oui. Vaut mieux pas que tu essaies.- T'as pas à me traiter de connard. Je t'ai pas vu, c'est tout.- J'étais au milieu de la chaussée, sur un passage piéton, je mesure 1,91m et tu dis que tu ne m'as pas vu ? Si tu n'avais pas les yeux collés à ton smartphone en conduisant...- J'ai envie de te cracher dessus.- Pauvre type !- T'es pas un homme.- Connard !
mardi 2 septembre 2014
Soy gitano
En 1991, Camarón, déjà malade, était au Festival de Montreux, accompagné à la guitare par Tomatito et Moraito Chico, et au chant par El Pele et la sublime Charo Manzano, le tout présenté par un certain Quincy Jones. La puissance des chanteurs me fait dresser les poils et humidifie le regret, celui de n'avoir jamais vu sur scène Jose Monge Cruz. Le premier à m'avoir parlé de lui, ce fut Jean-Pierre. En 1987, je pense, car, dans mon souvenir, il se rendait le soir même au Cirque d'hiver. Je n'écoutais pas de flamenco à cette époque, je n'y comprenais rien, je rejetais ce genre trop précieux pour mon père. Il y avait cette émission de radio du dimanche matin, religieusement suivie — sur France musique ? — par mon père, "Sortilèges du flamenco" et qui nous horrifiait tant, nous, ses enfants. J'ai encore en mémoire la mélodie du générique, quelques notes d'introduction à la guitare... Camarón est mort un an après avoir chanté à Montreux. Mon père est parti un an après Camarón.
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