Je n'ai plus la télévision. Depuis plusieurs années. Quand je l'avais, je ne la regardais pas, pour ainsi dire. Cet objet imposant trône encore dans un coin du salon. Il ne me sert plus que pour visionner des films en vidéo. Je rêve raisonnablement d'un home cinéma, un écran plat plaqué contre le mur, ou même une toile blanche discrètement accrochée je ne sais comment au plafond et qui descendrait de temps à autre sans faire de bruit, le temps de mater un film. Je vais bientôt déménager et je profiterai alors de ce prétexte pour me débarrasser de ce bon vieux Thom (c'est le nom de mon pote de 12 ans et de 63 cm). En attendant ce jour mémorable, il m'arrive parfois, rarement, mais parfois, de regarder une émission, un documentaire en général, en replay sur internet. C'est ainsi que je me suis surpris à voir dimanche matin, à l'heure où d'autres vont à la messe ou au marché, le film de Guillaume Nicloux, L'enlèvement de Michel Houellebecq. Il faut que j'avoue autre chose : je n'ai jamais lu un livre de ce grand-écrivain-français-contemporain, "le Balzac du XXIe siècle" ai-je entendu à la radio aujourd'hui-même. J'ai parfois été tenté, mais ça n'a jamais duré longtemps. Je me souviens de certains poèmes lus chez mon pote Yannick qui me vantait le talent de ce trublion de la littérature qu'on ne comparait pas encore, en ce temps d'avant le premier roman, à l'auteur du cycle de La Comédie humaine. Mais ils ne m'ont pas marqué.
Récemment, un écrivain dans l'attente d'être publié pour la première fois, un ami tout neuf avec qui je parle littérature une fois par semaine, le samedi en général, m'a affirmé que Houellebecq était le seul écrivain français à parler vraiment du monde dans lequel on vit. Lorsque je lui avouais, un peu honteux après un tel jugement, ma réticence à lire un auteur transféré il y a quelques années d'un éditeur à l'autre avec le fracas digne d'un footballeur à la mode, je mesurais immédiatement la fragilité de ma position. Quelques jours plus tard, en flanant dans une librairie, mes craintes se confirmaient. Je me retrouvais happé par la lettre H du rayon littérature française et faillis acheter un des livres de cet auteur rare. Je n'en fis rien ce jour-là mais je sentais que ce n'était que partie remise. Mon animosité houellebecquienne avait vécu. C'est donc dans un souci de réconciliation, d'ouverture, de compassion pour mon prochain - Houellebecq est très drôle paraît-il, sans parler de Nicloux qui a certainement dans sa riche filmo au moins un film regardable (je cherche mais je n'ai pas encore trouvé. J'hésite entre Le concile de pierre, Holiday et Cette femme-là...) – que j'ai cliqué sur (re)play.
Le film se révèle vite être un lent lavement de cerveau, pas celui de l'écrivain apparemment depuis un moment pas mal lessivé, plutôt celui de l'ordispectateur. Après présentation du personnage (c'est la première fois aussi que je le vois alors qu'il est certainement l'écrivain le plus médiatisé avec Jean d'Ormesson et Christine Angot, mais comme je le disais plus haut, je n'ai pas la TV), il est indéniable qu'on peut éprouver de la sympathie pour ce type, alcoolique avéré au débit parfois inaudible, caricature de lui-même, clone aujourd'hui de Céline mais qui fait quand même vite regretter l'infréquentable Bukowski. C'est alors que le rapt débarque et avec lui, trois personnages aperçus auparavant par de subtils flashs comme un hommage au langage télévisuel des dramatiques des années 60, trois abrutis qui connaissent le gars mais ne savent pas lire, pas du Houellebecq en tous cas, faut pas pousser non plus. On se prend donc de sympathie pour eux aussi, ne serait-ce que parce que nous nous sentons à eux tellement supérieurs grâce à Arte, à notre bon goût et à la culture française que nous fréquentons depuis notre plus jeune âge… Et puis, c'est tout, ça s'arrête là. Il ne se passe rien de plus. Non, je déconne. Il y a un peu d'improvisations histoire de meubler et donner un semblant de film. L'écrivain apprend la boxe française, relit pour la énième fois La religieuse (qu'on pourrait prendre pour une référence pour initiés à l'œuvre de MH, surtout si on la connaît mal, mais qu'on n'identifie pas sur le coup comme une auto-citation du cinéaste, surtout quand on a arrêté de voir ses films depuis quelque temps déjà), fume et boit, demande à garder un briquet à peu près cinquante-six fois en une heure et demie, évoque un voyage en Pologne qu'il qualifie de petit pays, carresse un chien et une jeune maghrébine un peu pute, la preuve qu'il n'est pas totalement islamophobe avant d'être finalement libéré par un avocat sulfureux et médiatique… Rien ne sera révélé sur les motivations ou les commanditaires de l'entreprise à l'origine de cette fiction. Faut pas pousser là non plus, on fait de l'art avec le plus grand écrivain français vivant. Il paraît que Houellebecq parle très bien de l'ennui de l'homme contemporain. Guillaume Nicloux aussi, assurément, mais en oublie de faire du cinéma. Je ne suis pas sûr que ce truc, qui représentait notre grand pays au dernier Festival de cinéma de Berlin, produit et diffusé en grandes pompes par notre grande chaîne culturelle à partir d'une grande idée ("Alors, tu vois, c'est Houellebecq et on le fait enlever par une bande de pieds nickelés genre France profonde et on montre que Michel est super sympa, pas du tout l'image qu'on s'en fait, à l'aise même chez les bouseux…") serve quelque peu l'œuvre du grand homme (on est presque gêné pour lui), le cinéma, la télévision, les prostituées maghrébines et les intermittents… Finalement, j'ai l'impression que mon aversion pour la littérature française contemporaine et le snobisme d'une certaine élite intellectuelle, a encore une longue vie devant elle.
Vous n'avez pas aimé Le Poulpe de Nicloux ? Le scénario est regrettablement faiblard, mais je trouve que ça a un certain charme.
RépondreSupprimerDe Houellebecq, il n'y a certainement que le premier à lire. Ne serait-ce que parce qu'il a, après tout, été édité par Nadeau (qui devait déclarer par la suite se demander s'il avait bien fait). Ça se lit sans réel déplaisir, mais honnêtement on le retient parce que c'est la production d'un écrivain médiatiquement incontournable. En bref, c'est une illustration de ce que Gracq avait alors identifié comme un mal français dans La littérature à l'estomac (1950), à savoir la substitution de l'opinion au goût. Plutôt que de questionner le rapport qu'on entretient personnellement avec une œuvre, on s'attache en définitive à se positionner dans ce qu'il en est dit, voire dans ce qu'il est dit de son auteur. Houellebecq pourrait d'ailleurs apparaître comme une figure paradigmatique de l'époque présente, qui a amplifié ce phénomène comme jamais.
Vous avez sans doute raison. Le Poulpe vaut surtout pour son acteur principal. Les autres films de Nicloux ne valent pas un clou...
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