vendredi 6 janvier 2023

Bleu de travail

 


En 1957, Ingmar Bergman prépare son dix-huitième film... En pleine écriture des Fraises sauvages, le Suédois, également dramaturge, metteur en scène au théâtre de Malmö, fils de pasteur luthérien, note dans ses carnets :

Mes peines, mes peurs, mes envies, mes dégoûts, tout ce hurlement que je retiens au fond de moi en me disant que je suis, malgré tout, un privilégié. Et ces vagues sont recouvertes par une épaisse couche de honte, grasse et huileuse. Honte à toi, qui organises toujours tout si bien ! Si je pouvais seulement me délester de ce poids matériel, poisseux, de ces possessions stupides et exigeantes, me plier à la soumission et à l'autorité. Un bleu de travail, des chaussures d'ouvrier, des outils, un lit, une table, une chaise. Rien d'autre, rien de plus. Il ne s'agit pas de se retirer du monde des hommes, les hommes peuvent bien rester les mêmes. En plus agréables, éventuellement !

Accomplir sa tâche, sans chercher à tricher, à tromper ou à se dérober. Quoi qu'il en coûte. 
Faire ce à quoi on s'est engagé.

Penser à SDG¹ et agir en conséquence. 

On n'a pas besoin d'entreprendre plus que ce dont on est capable.

Apprendre à renoncer, quand le combat est vain. Reconnaître ses défaites.

Ne pas toujours être le meilleur.

Se pardonner, car personne d'autre ne le fera (ou ne se donnera la peine de le faire).

 

¹ Soli Deo Glori (à Dieu seul la gloire). C'est ainsi que Bach signait ses partitions et que Bergman signera le scénario des Communiants.

 

L'éditeur et distributeur de cinéma Carlotta vient de publier ces Carnets couvrant la période 1955-2001 en un volume de plus de 1000 pages, traduit par Jean-Baptiste Bardin.
C'est tout bleu. Trop bleu (quelle drôle d'idée, ces photos bleutées...)
Et c'est un peu cher : 59€...
Mais lire un cinéaste au travail, que l'on a tant aimé, traversé de doutes et angoisses, d'une dépression chronique ayant
parfois nécessité une hospitalisation, se révèle être une activité des plus excitantes de ce début d'année. On y reviendra forcément.

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