Juan Manuel Castro Prieto |
Il fait nuit noire, la chambre est surchauffée, je n'arrive pas à dormir, les images affluent, torrentueuses.Parmi elles, celles des femmes que j'ai aimées, que j'ai aimées sans les aimer, qui m'ont plu, auxquelles j'ai plu, combien d'heures, de jours, de mois, d'années, le temps coule entre nos doigts ; peut-être en ce moment même ont-elles une pensée pour moi, femmes que j'ai caressées, déshabillées peu à peu comme j'éprouvais tant de volupté à le faire lorsqu'elles étaient gracieusement étendues sur des lits, jolies mortes chaudes, et qu'elles étaient touchées qu'on fit si grand cas de leurs vêtements et de leur lingerie avant de découvrir les lignes de leur corps, émouvante surprise toujours renouvelée, la forme souplement arrondie du sein, l'arceau du petit ventre dont la courbe s'infléchit jusqu'au foisonnement des poils qu'on effleure au passage de la paume ; puis viendra cette culminance de l'instant où les cuisses jointes s'écarteront comme des portes de tabernacle ; sans nous être concertés nous échangerons alors en silence un de ces regards qu'échangent peut-être bourreau et victime en signe de tragique reconnaissance.Femmes de la rencontre ou du long cheminement, femmes des amours et du plaisir, venez, offrez-moi une dernière fois l'insurpassable, la bouleversante beauté de vos jeunes visages d'amoureuses alanguies ; je n'arrive pas à dormir, la chambre est surchauffée, au fond du couloir un malade hurle de douleur, un autre n'a pas cessé de gémir depuis l'extinction des feux, mais, comme nous tous, il est là pour apprendre la terrifiante angoisse de la solitude lorsque rien ne peut plus être sauvé, que l'ultime recours en grâce vient d'être rejeté.Qui de moi ou de ces inconnus peut dire qu'il verra le jour prochain ? Soyez clémentes, approchez-vous pas à pas, hiératiques et tentatrices dans l'ondulation crissante de vos robes d'étoffes légères, comme autrefois vous saviez si bien le faire dans ces chambres qui furent une nuit les nôtres.Je ne peux ni ne veux dormir ; le sommeil lui aussi n'est qu'un monstrueux ensevelissement ; moi qui vous ai vénérées jusqu'à la sublimation, ne m'abandonnez pas.
Louis Calaferte, Memento mori,
L'Arpenteur, Gallimard, 1988
Bonjour
RépondreSupprimerMerci
C’est trop tard c’est fini c’était avant
Ton régiment arrive comme écrivait Buzatti
Bonne journée