Bert Hardy |
– Tu as vu, pour Jaccottet ?
– Oui… 95 ans, quand même !
– Et Ferlinghetti, la veille…
– 101 ou 102 ans, je ne sais plus…
– Comme quoi, ça conserve, la poésie… Et la traduction !
– Ça reste à voir…
– Il y a longtemps que tu ne me racontes pas d'histoires...
– Des histoires, dis-tu ?
– Oui, ça m'endort...
– Je suis ton somnifère, si je comprends bien...
– J'aime le timbre de ta voix, elle m'apaise.
– Des histoires, donc... Tu veux que je te parle d'islamo-gauchisme ?
– Quoi ?
– Je peux également te parler du combat mené par le sinistre de l'intérieur afin de prouver aux Français ahuris, et à leur roitelet de pacotille, qu'il est encore plus à droite que la droite la plus extrême, que l'état totalitaire, c'est lui, Pamalin...
– Non, pitié.
– Tu veux que je te parle de l'épisode 26 de la saison 2 de Plus confinés que nous tu meurs, la fameuse série pour enfants ?
– Non, je ne veux plus entendre parler de l'annonce d'un prochain confinement, et finalement, non, enfin, pas encore, juste le week-end, mais peut-être, si vous n'êtes pas sages, la semaine prochaine...
– Tu veux alors que je te parle de la prochaine ponction de l'épargne des Français ahuris par l'association de malfaiteurs qui fait office de gouvernement ?
– Les ahuris se précipitent-ils déjà aux guichets des banques ?
– Au Luxembourg, plutôt !
– Je veux une histoire, une vraie... Comme quand tu me parlais de Thomas Bernhard.
– Ah oui, d'accord, tu ne veux pas de buzz, de faux débats et autres fumées d'écrans...
– …Parle-moi de Thomas Bernhard !
– Que veux-tu que je te dise que tu ignores encore ? Tu veux que j'aille te chercher le Cahier de l'Herne ?
– Non, je veux que tu me racontes, comme quand tu me parlais de sa ferme. Je me souviens de ce film où on le voyait arriver sur les lieux avec l'agent immobilier dans le brouillard...
– L'agent immobilier était dans le brouillard ?
– La maison, la future maison. Comment s'appelait ce film ?
– Quel film ?
– Celui où l'on voyait la scène. Il achetait cette ruine sur un coup de tête. Et sa tante tentait de le calmer, lui conseillait d'attendre la nuit, qui porte conseil...
– Nous n'avons jamais vu cette scène.
– Je m'en souviens parfaitement.
– Ma chérie, tu as peut-être vu cette scène, mais pas dans un film.
– Où alors ?
– Dans un texte. Que je t'ai lu, il y a des mois de cela, lorsque nous habitions encore rue Danton.
– Tu veux dire que je me suis toute seule fabriqué les images ?
– Certainement. D'autant que ces images ne peuvent exister.
– Et pourquoi, donc ?
– Tu imagines Bernhard convoquer une équipe de tournage pour filmer en 1965 sa quête d'une maison en Haute-Autriche ?
– Tu m'as tout de même montré un film dans lequel on voit Thomas Bernhard arriver chez lui en voiture...
– C'est exact. Et il n'y est pas accompagné de l'agent immobilier, mais de sa fameuse tante, qui ne tente rien.
– De quel film s'agit-il, alors ?
– C'est le passage d'un documentaire de Jean-Pierre Limosin.
– Limosin a filmé Thomas Bernhard ? Quelle chance !
– Pas du tout.
– Pourquoi ? Ça s'est mal passé ?
– Le film date de 1998.
– Et alors ?
– Bernhard est mort en 1989, si je ne dis pas de bêtises...
– Ah oui, ça pose un petit problème...
– Mais Bernhard est tout de même dans le film.
– Dingue, comment a-t-il fait, alors ?
– Les images d'archives, tu connais ?
– J'adore quand tu me prends pour une andouille...
– Pardon. Avec ces masques, nous ne devinons plus les intentions ou les sous-entendus que nous transmet la personne en face de nous.
– Qu'est-ce que tu racontes ?
– Pardon, encore. Tu n'es pas en face de moi, mais couchée dans le lit à mes côtés.
– Je suis surtout sans masque !
– Ça, alors ! Non seulement on ne comprend rien avec ces masques, mais en plus, on ne voit plus rien. Nous sommes perdus… Tu connais cette photo ?
– J'adore ce type. Il était vraiment beau. J'aurais pu tomber amoureuse de lui… Pourquoi ris-tu ?
– Parce que je trouve que ton père lui ressemble beaucoup.
– Quelle horreur !
– Il était très séduisant, comme ton père… Il n'a pourtant, dit-on, jamais connu de femme.
– Il faut absolument que je lise le livre de Pierre de Bonneville !
– Tu crois ?
– Je suis curieuse de savoir ce qu'il y raconte.
– C'est drôle que ce soit précisément lui qui ait écrit ce livre…
– Pourquoi ?
– Parce que c'était le meilleur ami de ton père. Qu'à eux deux, du temps de leur superbe dans la pub…
– …Ils se sont tapés des tas de mannequins…
– Contrairement à Thomas Bernhard.
– Thomas Bernhard a aussi travaillé dans la pub ?
– Il a travaillé la pub, la sienne.
– Pourquoi ne m'as-tu jamais montré le film de Limosin en entier ?
– Parce qu'il est de mauvais qualité.
– Tu m'as toujours dit que Limosin était un bon documentariste...
– Je parlais de la qualité de la version disponible sur internet, la seule que j'ai trouvée...
– Tu n'en as pas une copie ?
– Je crois que Limosin, à l'époque, m'avait filé une VHS... Mais ça va être compliqué de la diffuser sur mon ordi...
– Elle est ici, ou dans un carton chez Inès ?
– Je n'ai pas le souvenir de l'avoir vue.
– Le film ?
– La cassette – lorsque j'ai fait les cartons...
– Alors, montre-moi ce que donne la version sur internet.
– Tu es prévenue, ne viens pas te plaindre après…
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