– Croyez-vous que je sois encore assez jeune pour un prix littéraire ? Quarante ans… Ce sera cette année ou jamais (…) Croyez-vous, on m'a déconseillé d'avoir un prix. Quelques personnes. Elles m'ont dit : « Vous avez un petit public fidèle, cinq ou dix mille lecteurs. Si les jurys s'en mêlent, vous les perdrez. »– Pourquoi ?
– C'est vrai, pourquoi ? Et puis, cette œuvre tout en gris… C'est très incomplet. Comme ce qu'on voit dehors, aujourd'hui, dans le brouillard… Celui que je préfère de tous les petits métiers que j'ai faits ? Oh ! La littérature…
– Vous ne faites rien qu'écrire des livres ?
– Même pas. Je fais de petites promenades, comme de venir chez vous par le brouillard. En rentrant, j'écris ce que j'ai vu. Avant, je faisais des articles à Combat, à Terre des hommes. Un jour, un directeur de journal m'a dit : « Vos articles, c'est du luxe. »
Ses yeux s'esclaffent, derrière les lunettes.
– Du luxe !
Mais il n'a pas bougé. Il est là, immobile, correct, réfléchi. Une photographie de Calet.
– Que dites-vous ? Deux millions ?
Je viens de lui dire que le prix Goncourt, en plus de la renommée… Il refuse pareil espoir.
– Des millions, vous voyez bien !… Non, non, attendons. Mais si cela arrivait, j'irais à la campagne écrire un vrai roman. Quand on a écrit ces traités d'abdication que sont mes livres, on a envie d'écrire le contraire. Mais je ne sais écrire que ma vie. Ou, alors, attendre, pour le roman, d'avoir la cinquantaine, âge climatérique ?
Il est parti dans le brouillard, à pas mesurés.
– C'est long, une vie à pied.
Une phrase de cet entretien de Dominique Alban avec Henri Calet donne le titre du recueil que publient bientôt les Presses universitaires de Lyon, préfacé par Joseph Ponthus. Michel P. Schmitt, déjà responsable notamment de l'édition de l'extraordinaire Paris à la maraude (éd. des Cendres/Enssib) et de Mes impressions d'Afrique (PUL), a réuni pour la première fois l'ensemble des interventions médiatiques de l'auteur de La Belle lurette. Un classement chronologique, enrichi de précisions historiques, ainsi qu'un copieux inventaire de l'œuvre, nous donnent la sensation de tenir dans les mains la précieuse biographie de l'un des prosateurs, nous assure Schmitt, les plus méconnus du XXe siècle. Le désir également de nous plonger, de nouveau, dans les gris écrits de cet aventurier anar et clandestin mort à 52 ans.
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