J'ai repensé à tout cela ce matin en apprenant la nouvelle, et je viens seulement de me rappeler avoir écrit ce texte il y a quatre ans. Je le remets ici aujourd'hui en souvenir de Lawrence et Laurent.
Charlie descendit les marches étroites vers le sous-sol. Marty et Kenny étaient assis à une table près du présentoir de poésie d'avant-garde. Quelques autres personnes se trouvaient là, un bon endroit où traîner quand on n'avait pas un rond. On vous laissait bouquiner là toute la journée. Pas même un libraire en bas. Vous pouviez fourrer autant de magazines et de livres de poche que vous vouliez dans votre futal et passer devant Shig sans que personne ne se rende compte de rien. Apparemment, aucun client ne faisait ça, ou du moins, ce n'était pas assez courant pour que Ferlinghetti change de politique.
Don Carpenter, Un dernier verre au bar sans nom,
trad. Cécile Leroy, éd. Cambourakis
Toujours aussi con, j'ai lu ce passage hier matin et cette nuit, en rêve, je revois le film posthume de Laurent sur Lawrence Ferlinghetti. En partie. L'évidence de la confusion qui me réveille malgré les ampoules avalées au coucher est telle que le lever ne peut être repoussé. Tout se conjugue. Dans un énigmatique désordre. Une phrase de cette soirée organisée dans un cinéma de Montparnasse où nous découvrions le film de Laurent. Ferlinghetti, né en 1919, était persuadé, lors du tournage, que Laurent filmait ses derniers jours. Le contraire s'était produit. Ferlinghetti avait assisté aux derniers jours du filmmaker. Ce film clandestin, tourné sans argent, sans équipe, mal foutu, était certainement son plus beau.Je jette un œil à sa filmographie à la recherche du titre. Il ne figure nulle part. L'ai-je rêvé ?Je tombe sur une nécro dans laquelle son copain Assayas parle de ce film, sans titre : « Laurent y a retrouvé sa passion première pour la littérature américaine protestataire, et aussi un art du bricolage dans ses manières de tourner, la pratique semi-amateur de ses débuts. Il était jeune, à nouveau. »Je n'ai jamais aimé les films d'Assayas. Je ne sais pas pourquoi. Ou alors, il faudrait en dire long et je m'en fous. Je les découvrais pourtant en même temps que ceux de Laurent ou de Jean-Pierre. A cette époque de boulimie argentique. Plus j'en avalais, plus il m'en fallait. Un, voire deux, parfois trois films par jour. Je n'ai quasiment rien revu.J'avais l'âge de ma fille aînée aujourd'hui, bordel ! Occupation névrotique. Les filles m'échappaient, je fuyais encore l'alcool, les films prenaient toute la place.J'ai encore 20 ans cet été-là. L'Italienne m'a quitté sur la plage. Constatant mon sale état, ma mère fait venir de Madrid mon cousin Saturnino. A l'âge de 13 ans, j'ai vécu quelques mois chez ses parents, joué au foot avec lui et sa bande sur les terrains vagues du barrio. Il est ensuite venu faire le touriste à Paris une ou deux fois. On n'a jamais parlé cinéma. On a trois-quatre ans de différence. Je ne sais rien de sa vie d'homme. Il m'emmène à Madrid et m'intègre d'office dans la petite équipe qui prépare un festival de cinéma à Cadix. Je ne comprends rien mais file un coup de main en traduisant en espagnol des listes de dialogues de films français que je n'ai pas vus. L'année suivante, il y aura un film de Laurent.Au cours de l'année universitaire, études d'anglais, je lis un ou deux trucs de la Beat Generation, dans le texte. Un poème de Ferlinghetti. Un autre de Bukowski. Je passe à côté. A cause du cinéma. Celui que j'aime me conduit vers d'autres lectures. Et mon anti-américanisme primaire me mène d'avantage vers les Suédois, les Italiens, les Allemands, et l'obsession Bove, et enfin Fante. Et puis, je piquais ce que je pouvais. Roth, ça viendra plus tard, Bukowski n'en parlons pas.Drôles de chemins tortueux et torturés. Je croise une première fois ma douce sans le savoir à l'ambassade du Burkina, alors que nous sommes sur le départ pour Ouaga et son Fespaco. C'est le bazar. Les fax se perdent, il manque des billets, les réservations ne sont plus possibles. Elle ne partira finalement pas. J'embarque dans l'inconnu et rencontre une Bretonne de Saint-Etienne, qui deviendra la mère de mes filles, et le pays des hommes intègres.
Après bien des errances, des revoyures, des ruptures et des ratages, je retrouve ma douce. Elle est sur le point de se marier avec le type dont elle partage la vie depuis 18 ans. A fuir, cette attirance soudaine. J'appelle une connaissance commune et dégote son adresse électronique. De son côté, elle fait de même, mais envoyé à une ancienne adresse, je ne reçois jamais son mail. Nous nous retrouvons pas loin de ses bases, dans la cour d'un cinéma cher à Buñuel. Scénariste, elle travaille avec Laurent, encore une fois. Je lui demande de ne pas se marier. Elle ne m'écoute pas mais passe sa nuit de noces dans mon lit.
Un soir, je rencontre enfin Laurent. Il nous a invité à dîner chez lui, couple illégitime. Je me souviens d'une voyante roumaine qui nous prédit une belle vie. Méfiez-vous des voyantes, roumaines ou autres. Je lui raconte. Trente ans plus tôt. Ma traduction, le festival, il se souvient n'avoir pas pu venir…
Je revois Laurent. Le plus souvent seul. Parfois par hasard. Dans une rue du 5e, sortant lui d'un cinéma, moi d'une libairie. Une autre fois, je monte chez lui récupérer un DVD de King Kong et autre chose dont je ne me souviens plus. Je refais un peu de traductions et collabore à un bouquin sur New York jonché de citations littéraires et cinématographiques. Il est sur le départ pour San Francisco.
Et nous voici, un autre été. A l'hôpital. Laurent est tombé malade. Ce n'est pas très grave. L'opération s'est bien passée. Il est encore dans le coltard, pas beau à voir. Dans le couloir, une infirmière nous rasure, on ne meurt pas de ça. Et nous dévalons couloir et escaliers à la recherche de l'air du faubourg. Je ne reverrais jamais Laurent.
Lors de la cérémonie au Père-Lachaise, Assayas prend la parole et je revois les années qu'il décrit. Le Super 8, les premiers courts métrages, Londres, les petits carnets. Pour la première fois, je trouve ce type sincère. Il y a son frère aussi. Qui chante avec son fils. Foutraque mini-concert. Amateurs. Ce qu'il y a de mieux. Et cette chanson que Laurent aimait tant, que je découvre à l'occasion, dont je trouve le disque à Madrid, qui passe parfois en boucle à la maison et dont mes filles sont devenues des inconditionelles.
14 mai 2016
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