vendredi 4 mars 2016

François, Françoise, Marie et les autres





Je me suis un peu perdu dans le quartier. J'y étais venu de son vivant. Lorsque je suis entré, l'église avait déjà accueilli la plupart d'entre nous. Je me suis placé derrière une famille que j'ai vite reconnue de dos. Notre ami José, Eva et leur fille. On s'est embrassé et on a attendu en silence. Seule une petite enfant blonde cavalait dans les allées se foutant de savoir ce que tout le monde faisait là. Celle qui devait être sa grand-mère essayait de la tenir comme elle le pouvait. Les grandes portes se sont ouvertes et nous nous sommes retournés pour voir le cercueil arriver vers nous. 
La cérémonie avait déjà débuté que des retardataires, un à un, nous rejoignaient. Elle s'est placée un rang derrière moi, de l'autre côté de la nef. Elle portait un affreux parka vert pomme, et je me serais jeté à ses pieds si la décence ne m'avait retenu. Son regard était le même que celui qui avait changé ma vie à 20 ans, moi qui ne jurait alors que par Neil Young. Elle était là, à deux pas, son sourire noyé de désespoir, et je devais avaler les mots maladroits qui ne passaient pas. Je prétextais m'offusquer d'autres retards pour me tourner vers sa solitude dès que je le pouvais. J'entendais soudain les mots d'Eustache, à la virgule près, comme il les aimait. Mais ça parlait Evangile et ça sonnait Bach. Cioran a détrôné Eustache, histoire de me détacher des lieux. Debout, assis, debout, assis, chants repris par ceux qui n'ont pas oublié les paroles que je n'ai jamais sues. Eric a lu du Maeterlinck, je ne sais quel texte, celui par lequel il avait clos, nous dit-il, l'éloge funèbre de son propre père deux ans auparavant. D'autres ont pris la parole avant, après. Mais je sentais bien qu'il n'y avait pas de mots. 
Je connaissais mal François, trois ou quatre fois nous nous étions vus longuement, parlé par téléphone, essaimessé. Un jour, dans le métro, un type à côté de moi parlait dans le micro pendant à son oreillette. Il tenait le smartphone au bout de son bras devant moi de sorte que je pouvais lire le nom de son correspondant. C'était celui de François. Le soir, je lui racontais par texto cette histoire. Il n'en revenait pas. Paris est si petit. Je crois que c'est le dernier échange que nous ayons eu. J'y ai repensé en entendant un extrait de son premier film, me demandant encore qui pouvait bien être ce jeune homme qui le vouvoyait dans le métro. 
En me dirigeant vers la sortie, j'ai croisé Marie et nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre. Combien d'années depuis ? Elle était partie travailler avec François pour la première fois juste après un petit film que nous avions fait ensemble. Et sur le trottoir, j'ai retrouvé Jean-Pierre, son partenaire dans notre film. J'avais été heureux de les retrouver réunis dans ce qui demeurera la dernière œuvre de François. Et là, balancés par le vent, devant l'église. 
Le vert de sa parka l'isolait un peu plus, me la désignant sans équivoque. Ne jouait-elle pas la mère de Marie dans ce film de François ? Un café nous attendait à deux pas, me dit Marie, tandis que je saluais Eric que j'avais cotoyé également à la même époque mais sur d'autres aventures. J'avais perdu de vue Françoise Lebrun et ce fut tant mieux. 
Il était temps pour moi de filer seul vers un bistrot près du métro. J'avais besoin de pisser, me laver la gueule au lavabo, boire un coup, ne plus parler. 
Une femme portant un petit bonnet noir s'est collée au comptoir, à deux pas. Elle a demandé s'ils faisaient encore des sandwichs, combien ça coûtait tout en comptant sa monnaie, Et une bière, la moins chère, c'est laquelle ? Si Eustache était encore en vie, il la filmerait, pensais-je bêtement. Ou François, bien sûr. Françoise y serait, à coup sûr. 
Soudain, la neige a fait son apparition. Les garçons de café parlaient des giboulées de mars que la télé avait annoncées, des clients de la différence d'avec la neige… Je me suis arrêté sous le auvent, près d'un type qui avait sorti son téléphone intelligent pour filmer le ciel. J'ai levé les yeux comme lui sa machine. A un balcon de l'immeuble cossu d'en face, au sixième étage, une femme n'en croyant pas ses yeux tendait la main. Je lui ai balancé la monnaie morte au fond de ma poche, sûr de la rendre heureuse et me suis engouffré dans le métro. J'ai dormi  tout le long du long trajet. En silence.




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